Boucle d’Orge
Presque toutes les histoires commencent par « il était une fois ».
Je dis presque, car celle- là ne commence pas, elle finit par : « il était tout le temps ! »
Il était tout le temps, une femme que tout le monde appelait ironiquement Boucle d’Orge, pour son abondante chevelure rousse ondulée. On la voyait souvent se prélassant allongée au milieu du banc sous le tilleul du terrain communal. Quand ce n’était pas sur le banc, c’était avachie sur son canapé. Si ce n’était sur le canapé, c’était sur la mousse des bois… Bref, Boucle d’Orge était ce que l’on pourrait appeler « une grosse feignasse».
Jamais elle ne faisait ménage, ni cuisine. Ses seuls talents de cuisinière se bornaient à l’ouverture de boites de conserves.
Entreprenait-elle de cuire un gâteau qu’il brulait et enfumait tout l’espace. La faute du four qui n’avait pas de thermostat, prétendait-elle. Non, ce four ne valait rien ! Même la tête de veau qu’elle avait cuisiné avait terminé dans la gamelle du chien, qui dédaigneux, l’avait boudée ! Pourtant s’il est un met délicat, c’est bien la tête de veau… et cuite au four !
Avril avait fait son entrée, succédant à mars, comme chaque année.
Les rayons du soleil printanier incitaient à l’oisiveté. Elle revenait du marché, son cabas plein de provisions, quand prise d’une flemme subite, elle s’affala sur ce banc et s’endormit.
Habituellement, les gens qui passaient, souriaient, narquois , puis continuaient leur chemin sans plus de façon.
Mais là, quelque chose clochait. Les victuailles semblaient posées sur un socle, probablement un objet maraudé en chemin, comme il arrive parfois qu’il s’en trouve aux abords des vieilles demeures.
Boucle d’Orge était aussi réputée pour ses facéties.
Pendant qu’elle roupillait, il était facile d’explorer le panier. C’est donc ce qu’il advint. Le premier passant laissa tomber un regard furtif sur ce corps alangui, et détailla le contenu de ce cabas, posé là, devant lui.
-Voyons, là : un kilo de pommes, une botte de radis, mais quel est ceci au fond du sac ?
Ne dirait-on pas une silhouette ?
L’idée lui vint d’explorer en détail. Il déballa l’objet en question et découvrit un ange ailé. Celui- là même qui s’était volatilisé de l’église lors de l’office pascal.
Notre homme, bien que mécréant, récupéra l’objet et le rapporta à monsieur le curé, qui, ravi de retrouver son ange gardien, s’écria en se signant:
« Merci de m’avoir quitté, grâce à toi, nous savons désormais qui vient piller les troncs de notre Sainte Eglise ! Amen. »