Max est brocanteur. Il habite Argenteuil, au 17 rue de la Caille juste au dessus de la route de Cormeilles. Sa maison, il la tient de ses parents qui l’avaient achetée au père Mathieu, un ancien vigneron qui à l’époque avait encore quelques pieds de vignes sur la butte. Tout cela a disparu depuis longtemps, la seule chose qui reste, c’est la consommation de vin « à l’heure » à la St Vincent où pour quelques euros chacun peut boire le vin qu’il veut pendant une heure. Pas du bon, c’est sûr, mais du vin quand même !
La rue de la Caille monte sec. Dans le temps, le pressoir était sur le trottoir, et on rentrait le jus dans la cour. C’est là que Max a son atelier.
Max aime retaper les vieux meubles, armoires, buffets, commodes. Qu’on lui donne un meuble fatigué, et en quelques jours, il vous le rend patiné, frais, élégant, prêt pour une nouvelle vie avant la génération suivante.
Son père réparait, lui répare à son tour. Il n’a pas de secret, ce qui est trop fatigué, il le désosse et conserve les planches dans une remise, rangées par essence. Et puis il ravaude, à la cheville, toujours à la cheville ! Et une fois que le meuble a retrouvé sa forme, un coup de popote et s’il le faut, un peu de vernis.
La recette de la popote : de l’essence de térébenthine, de l’huile de lin et quelques cuillérées à soupe de siccatif. On applique au pinceau, on essuie l’excédent et on fait sécher ; le reste c’est de l’huile de coude pour faire briller, avec une étoffe en laine. Le résultat est garanti.
D’ailleurs, il ne court pas la campagne pour trouver des meubles. On vient de partout alentour lui apporter les cadavres, comme il les appelle, et lui, il les ressuscite.
A la porte de l’atelier, Max a construit une volière pour ses perruches à coiffe rouge ; il y a même mis un fauteuil pour se reposer et contempler le spectacle de ces oiseaux joueurs et affectueux. Souvent Earl Grey se prélasse sur ses genoux ; Earl Grey c’est son chat ; il l’a récupéré du château un jour qu’il montait livrer un meuble à la comtesse avec sa 806. Il y avait eu une portée et on lui en avait proposé un ainsi qu’une tasse de thé. Cela l’avait fait sourire, la tasse de thé, mais il l’avait bue, histoire de ne pas froisser.
Les perruches et le chat vivaient en bon voisinage tout en gardant des distances respectueuses ! Sauf Aglaé peut-être qui, prise d’affection pour Earl Grey, et après un long apprivoisement vient de temps en temps se nicher contre le chat. Ils y trouvent leur compte semble-t-il, la chaleur de l’un renforçant le ronronnement de l’autre.
La journée tirait à sa fin et comme chaque soir, Max alla s’installer dans son fauteuil non sans avoir tiré une mousse du fût de bière.
Alors qu’il s’approchait du fauteuil, le chat se senti dérangé dans son sommeil, se redressa et d’un coup de patte assassin planta ses griffes dans les yeux d’Aglaé qui, tombée sur le sol fut achevée par la mâchoire du chat.
Max ne dit rien. Qu’un chat se fasse la peau d’un oiseau n’était pas pour l’étonner. Il décida simplement qu’à l’avenir Earl Grey n’aurait plus droit de cité dans la volière. Il aurait dû le faire plus tôt, c’est sûr, mais cette amitié entre deux animaux le rendait optimiste sur l’avenir du monde. Mais le réel s’est rappelé à lui. Demain il irait chez l’oiseleur chercher une femelle, il n’y a pas de raison que Titi reste seul. On ne va pas ajouter la solitude au malheur quand même ! Et puis, deux c’est mieux pour les perruches, çà c’est sûr !