Tokoko ornait un côté du calendrier des PTT et Mioune l’autre. C’étaient les enfants, Paul et Sylvie, qui les avaient choisis dans le bestiaire polychrome du facteur. Chacun avait eu son semestre de gloire, bien en vue au mur de la cuisine. Quand l’un était devant, l’autre restait derrière ; quand l’un paradait en pleine lumière, l’autre dormait dans l’ombre. Quel dommage soupiraient-ils, de ne jamais pouvoir se rencontrer. Pourtant à force d’entendre la famille parler d’eux ils avaient l’impression de se connaître.
Vint le jour de l’an. Le calendrier fut jeté à la poubelle. Les enfants s’entichèrent cette fois d’un panda et d’un oiseau-mouche et ne se soucièrent plus du chat ni du perroquet, qui s’étaient pourtant montrés exemplaires tout au long de l’année. Une fois déversés dans la puanteur de la décharge, Tokoko et Mioune se dirent que puisqu’on ne voulait plus d’eux, ils n’avaient aucune raison de rester sages comme des images. Et tous deux s’échappèrent du calendrier en perdition et se trouvèrent face à face.
- Mais c’est Tokoko ! dit Mioune.
- Mais c’est Mioune ! dit Tokoko
Ils étaient ravis de se rencontrer enfin. Ils partirent à la découverte par les rues de la ville et par les chemins des champs, toujours côte à côte, aussi proches qu’au temps du calendrier, mais cette fois avec de vraies vies aventureuses et palpitantes à partager.
- Tu sais que je t'aime, toi ! disait Tokoko
- Et moi donc ! répondait Mioune.
Pourtant leur compagnonnage faisait grincer des dents, des becs, des crocs et tout ce qui sert à manifester la haine et la hargne. Autour d’eux ils entendaient grommeler :
- Ils sont pas pareils !
- Ils sont tellement différents !
- C’est contre nature !
- Qu’est-ce qu’ils font ensemble ?
- C’est une honte !
Parfois chiens et chats, et autres ennemis héréditaires provisoirement unis, se lançaient à leur poursuite. Eux restaient interdits face à cette union sacrée contre leur duo.
- Pourquoi est-ce qu’ils disent qu’on est différents ? demandait Tokoko
- Je voudrais bien le savoir répliquait Mioune
- Je t’aime, tu m’aimes… c’est pas de la différence ça.
- on est tous deux nés dns le calendrier et le même 1er janvier.
- Et on aime tous deux les chocolats à la menthe…
- J’ai une idée : si on jouait au docteur ?
- On est malades ?
- Mais non, pour les malades, c’est le vétérinaire
- Et le docteur alors, c’est quoi ?
C’est pour savoir si on est différents. Souviens-toi, Paul et Sylvie quand ils jouaient au docteur ; Sylvie qui riait : « Hi hi t’es pas pareil que moi ! « « Et toi non plus ! » disait Paul. - Bon alors tu commences.
- Attention, Monsieur, mon oreille va entrer dans votre corps et elle va tout voir. Dites 33, c’est le mot de passe.
- 33… 33… 33…
- Oh je vois le cœur qui bat comme un tambour… les poumons qui soufflent, le ventre qui chante, le sang qui peint tout en rouge.
- A moi maintenant.
- 33…33…
- Le cœur… les poumons… le ventre, le sang… c’est juste comme tu disais.
- Alors nos différences ?
- Ben j’en vois pas.
- Moi non plus.
- On est pareils.
- Exactement pareils.
Et Mioune posa sa tête contre le corps de Tokoko parce qu’il aimait bien les oreillers en plume. Plus tard, ce serait au tour du perroquet de se laisser aller contre le chat : il adorait les coussins en fourrure.