Nous nous retrouverons sur un banc, à l’ombre d’un grand chêne, ou sur un grand plateau calcaire, près de la caselle. Peu importe l’endroit, ce sera un lieu unique, puisque ce sera le nôtre.
Nous n’aurons pas d’âge, ou plutôt si, nous aurons l’âge de notre enfance. Et tout sera possible.
Alors nous effacerons les années sur nos corps fatigués. Tu retrouveras les jambes de tes dix ans. Tu me prendras la main pour emprunter le sentier. Ce sera celui de l’école ou celui des vacances. A l’orée du bois ou sur la terre aride du causse comtal. Nous rirons aux éclats, oubliant la course du temps, nous grimperons aux arbres ou sur le rocher casquette. Je laisserai le vent du sud emmêler mes cheveux détachés. Tu passeras devant pour m’empêcher de glisser sur la roche lisse.
Maman nous attendra à la croisée des chemins, sourire aux lèvres, elle nous ouvrira les bras.
Elle aura juste une ou deux rides au coin des yeux, un châle de laine grise sur ses épaules, puisque tout sera possible.
Nous rentrerons alors, le chien sur nos talons, toujours main dans la main. Maman nous suivra à quelques pas. La maison, ce sera Beauregard, ou peut-être la maison de mémé, peu importe puisque elle sera unique, ce sera la nôtre.
Dès l’entrée nous parviendra l’odeur du pain frais et de la confiture. Maman fera chauffer le lait frais dans une casserole, elle y ajoutera le chocolat et mélangera le tout, laissant la mousse onctueuse napper la cuillère de bois.
Nous nous installerons sur des chaises trop hautes, prenant les bols à pleine main. Nous retrouverons le goût du bonheur, il laissera une trace au coin de nos lèvres et jusqu’au creux de nos joues. Les tartines seront englouties comme on avale la vie, avec précipitation et enthousiasme.
Lorsque le soir viendra, nous irons nous allonger sur le grand lit, nous nous enfoncerons dans l’édredon de plumes et tu me liras « les petites filles modèles ». Je rêverai en regardant la jolie robe rouge de Camille, ou la bleue de Madeleine. Je fermerai les yeux et je plongerai dans l’histoire, oubliant le lit, la maison et maman.
Puis tu rangeras le livre et nous resterons là, sans bouger, sans parler. Nous ne nous endormirons pas, pour que rien ne s’efface, pour que rien ne passe, puisqu’avec des mots, tout est possible.