Il le savait ...

"Et si jamais demain, il venait à me manquer ce doigt que tu serres aujourd'hui, crois-moi, il en restera d'autres sur lesquels tu pourras compter!" disait Joseph, le charpentier, à son fils...
Il disait ça, comme ça, juste pour dire...
Oh, il le pensait sûrement, un accident dans ce métier est si vite arrivé... un instant de distraction et la machine vous prend plus que ce que vous ne vouliez lui donner à débiter. Mais, un doigt en moins, c'est presque banal... souvent rien de plus qu'un signe d'ancienneté...

Non, en fait, s'il disait cela, c'est avant tout pour cacher son émotion.
Lui, dans les doigts, il avait un travail, une habitude de manipuler de lourdes pièces de bois, de leur imposer sa loi. Il avait un savoir-faire, c'était un homme de métier! Charpentier, ça, c'est quelque chose! ... Tandis que père ... ???
Et voilà que brusquement, ce n'est plus lui qui avait prise, c'est lui qui était pris! Une petite menotte venait l'enserrer dans un geste de confiance, une volonté d'être debout. Petit geste insignifiant? Pas sûr! Plutôt augure d'un déjà prochain futur grand départ dans la vie...

Et tout le monde s'extasiait. C'est beau, la confiance d'un enfant! La force tranquille d'un amour paternel qui rassure, qui guide, qui soutient et fait grandir... Les gens allaient même jusqu'à faire des comparaisons et des remarques sur la ressemblance, bien que de tailles différentes, entre ces deux mains enlacées... "Il ressemble déjà si fort à son papa!" ...

Mais lui, au fond de son coeur, savait qu'il n'en était rien...
Bien peu le croirait... Et pourtant ... ce n'était pas lui, le père!

Je suis rarement emue. La, je le suis. Comme un mystere cerne... une belle interpretation en tout cas.

Citation :

Plutôt augure d'un déjà prochain futur grand départ dans la vie...

Je trouve ton texte très émouvant. J'aime la dimension que tu y apportes par le ressenti de l'adulte homme, par les questionnements et les émotions qui s'en dégagent.

Pardon! j'ai l'impression d'être tout sauf claire, j'ai de la peine à exprimer ce que je ressens en te lisant, mais ton texte me touche beaucoup.

Très beau !

J'aime bien l'angle de ton texte parce que oui quelques fois comme dans ton texte, les rôles sont renversés et ce sont les enfants qui nous donnent de grande leçon de vie.

Comme les autres je trouve très beau ce père qui se trouve désarmé devant l'enfant

fcplume a écrit:

Non, en fait, s'il disait cela, c'est avant tout pour cacher son émotion.
Lui, dans les doigts, il avait un travail, une habitude de manipuler de lourdes pièces de bois, de leur imposer sa loi. Il avait un savoir-faire, c'était un homme de métier! Charpentier, ça, c'est quelque chose! ... Tandis que père ... ???
Et voilà que brusquement, ce n'est plus lui qui avait prise, c'est lui qui était pris! Une petite menotte venait l'enserrer dans un geste de confiance, une volonté d'être debout.

Je suis par contre intriguée par le fait que tu parles de Joseph le charpentier. Ayant eu une éducation catholique, je fais forcément le parallèle avec Joseph, Marie et Jésus. Est ce le cas? Est ce volontaire de ta part?

Hé oui, Sherkane, assurément... mon Joseph, charpentier de son état me vient de ma culture catholique et c'est très conscient de ma part dans mon écriture. J'aime beaucoup ce pauvre Joseph (comme chantait Moustaki) qui a pris une place effacée dans l'Histoire et qui, cependant a dû assurer l'éducation d'un fils qui n'était pas même le sien. J'aime cette position d'abnégation, cette position de service à l'enfant (Pourrait-on dire à l'Enfant, l'Enfant-Dieu qui devait être bien différent d'un enfant-roi ... mais, comme tout gosse, devait avoir des exigences, des attentes, des besoins ... Il avait donc besoin d'un père, présent, un père au quotidien ... Et Joseph a été celui-là, nous dit (trop peu!) l'Histoire. J'aime vraiment ce personnage de Joseph ... et je sais qu'il en est plein, de ces Joseph, dans les "familles" actuelles...
Et puis, il y a derrière la profession de charpentier, une symbolique que j'aime: Le charpentier, c'est celui qui assure l'ossature du toit, symbole de la protection dont nous avons tous besoin!

Et puis merci à tous: Sprite, Mésange, Flamme-Du, Sol-eilleSherkane ...pour vos commentaires!

une chose que j'ai oublie de dire dans mon com, c'est comme j'ai apprecie que tu evoques un doigt coupe, bien plus courant que l'on ne pense dans le monde du travail. Je me souviens de la reverence due a la 'degauchiseuse' dans l'atelier de mon pere derriere la ferme, de laquelle nous n'avions absolument pas le droit de nous approcher quand elle etait en marche, a cause du risque qu'elle emporte des doigts!! Que tu rendes l'atelier de Joseph moderne donne de la force a ton texte.


Sur un autre registre, j'avais une collegue au majeur droit coupe au niveau de la deuxieme articulation (accident d'usine de jeunesse), qui se le mettait a l'entree d'une narine, laissant imaginer que le doigt aille gratter le cerveau. Ce qu'elle a pu nous faire rire avec ca.

Très beau texte. La phrase d'incipit est remarquable à bien des égards.