Inoubliable

Ce fut un soir lumineux où, spectatrice d'une lecture dans une petite salle de théâtre, je m'infiltrais dans des textes inconnus par des phrases emplies de méandres, d'ascensions à flanc de néant ou de descentes vertigineuses vers des combes d'obscurité - de celles d'où l'on ne revient pas sans quelques bleus à l'âme - serpentais dans la moiteur des mots qui, tâtonnant, se hélant, se caressant, s'insinuaient dans les plis de la peau avec une telle onctuosité, que le plaisir, dans un lent frémissement, semblait palpiter aux portes même des lèvres de celui qui lisait - son regard croisant parfois le mien - jouant avec dextérité du timbre de sa voix - que je savais déjà emplie de cette résonance dont je ne saurais me déprendre - faisant onduler l'intensité du récit lu, avec un brio de chef d'orchestre fougueux, puis poursuivait, sans ne plus poser les yeux sur la page, déclamant, mais sans l'emphase que l'on aurait pu craindre, ce poème d'Arthur Rimbaud, que je ne pourrais plus jamais lire , sans que cette voix profonde résonne en moi: "Les poètes de sept ans" où
"il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la liberté ravie"
et, achevant la diction du poème, il reprit son souffle, pendant que, médusés, les spectateurs, aux lisières de leurs propres songes, reçurent ces mots comme on triture des cendres, s'embourbe dans des ravines d'ombres, s'abreuve aux étoiles d'août - certains d'avoir assisté à une rencontre unique - ; encore frissonnants mais comblés,ils laissèrent éclater leurs remerciements.