Salade, mains et baladeuse

Quelle salade dit-on pour définir ce qui n'est pas très clair...
L'image de la salade qui me vient à l'esprit, c'est celle découverte à seize ans chez le maraîcher qui venait de m'embaucher.
C'était au mois de mai, saison idéale pour la laitue, bien pommée qui s'étalait sur le sol, en grosse blonde paresseuse qu'elle était sans complexe. Elle attendait d'être coupée, rangée délicatement par douzaines dans les plateaux qui finiraient sur l'étal des épiceries de quartier dont je me souviens d'une enseigne: le petit cœur.
C'était la fin de l'époque du marché avec la baladeuse... Je vois d'ici votre moue. Que va-t-il encore nous chercher ?
La baladeuse était le chariot sur lequel on déposait côte à côte les plateaux de salades, bottes de poireaux et carottes, radis, enfin bref, tous les légumes produits sur cet hectare de jardin enclavé dans la cité gaillarde. Préparée soigneusement la veille par Lucien, le patron, elle prendrait la direction du marché de Brive-la-Gaillarde, via les petits commerces qui avaient passé leurs commandes. Il convenait de s'atteler aux brancards, pousser le précieux chargement sur le circuit habituel long de cinq kilomètres si on compte le retour chargé des emballages vides, car en ce temps-là, on ne connaissait pas encore la notion « emballage perdu ». Il m'est arrivé d'accompagner l'attelage trop chargé pour être poussé par une seule personne. Alors, d'une main, vous poussiez pendant que l'autre guidait le vélo qui servirait au retour , permettant ainsi de gagner une bonne demie-heure de travail.
Car en fait, la longueur du jour suffisait à peine pour diligenter les tâches propres au maraîchage: en mai, les jours de marché, le patron se levait à trois heures. Et le soir, la tombée de la nuit donnait généralement l'heure du souper et... de la fin de la journée de travail.
A son retour du marché entre huit et neuf heures du matin, c'était pour tous le moment du casse-croute bien mérité, comprenant la soupe en toute saison. Ensuite, il convenait d'entamer les travaux de jardinage. Laitues et scaroles, radis en mai, carottes, épinards, poireaux, céleri branche et rave, choux, puis en été concombres, haricots verts, tomates, citrouilles. L'hiver, il n'y avait guère que le crosne. Il fait partie des légumes devenus rares. En forme de petit chapelet blanc nacré de la famille des Lamiacées, il est cultivé pour ses tubercules comestibles pouvant être préparés en gratin, en sauce ou en salade. Le goût du crosne est proche de celui du salsifis et de l'artichaut.
Mon souvenir à moi, c'est plutôt le légume qu'il faut extirper de la terre froide, avec l'onglée à la clé ! L'onglée ? C'était le lot commun du jardinier qui lavait poireaux et carottes dans le grand baquet en bois avec l'eau toute fraiche pompée du puits afin d'économiser l'eau de « la ville ». Mais ne vous inquiétez pas, il y avait moyen de se réchauffer dès la fin de l'hiver. Une bonne partie de ce grand jardin était retournée manuellement à la pelle-bêche. Avec les mains seulement? Oui, car il était interdit de s'aider du pied pour enfoncer l'outil: perte de temps...
Ensuite, il y avait les plantations. Sous les lourds châssis de verre déplacés à deux personnes, on plantait avec l'index céleris et tomates qui seraient transplantés en pleine terre quand ils auraient atteint la taille adéquate. Venait ensuite le tour des salades et poireaux, disposés en planches de six rangs. Lucien, le patron dirigeait la manœuvre. C'est à dire qu'il imprimait la cadence à suivre. On restait des heures pliés en deux, sans quasiment lever la tête. Certes, le mal de dos était incontournable, mais l'aspect du carreau planté vous donnait une certaine satisfaction. Plaisir même du travail bien fait avec le céleri et les choux espacés d'une longueur précise donnée par l'outil (la quille), et plantés en quinconce. Je me surprends encore à vérifier si les plantations de noyers ou autres arbres fruitiers respectent le principe …
Je ne me souviens pas que l'alignement impeccable des carreaux surélevés par rapport aux allées dont les herbes folles étaient soigneusement enlevées, ce qui mettait en valeur les différentes variétés de légumes à la pousse rapide en mai et juin, ait suscité l'intérêt des peintres ou photographes amateurs. Je me demande d'ailleurs si ces images ont été fixées pour la postérité. Dommage car aujourd'hui, salades et poireaux ont été remplacés par un immeuble de 120 appartements...
Ce que je me souviens aussi, c'est de la quasi absence de traitements et dispersion d'engrais chimiques. L'enrichissement du terrain était assuré par la fumure issue des bovins élevés à proximité de la ville. Et le terrain convenait parfaitement à ce type de culture, la même depuis plus d'un siècle...
Quant à moi, je me souviens de la bonne table de la maison grâce à la cuisine d'Hélène, la patronne qui partageait son temps entre le jardin et ses travaux ménagers. On travaillait ferme chez les maraîchers, mais qu'est-ce qu'on mangeait bien! Travailler dur n'empêchait pas de rire : le patron était du genre farceur et avait toujours des anecdotes savoureuses à raconter à ses retours de marché.
C'était une autre époque. Sans doute, la nostalgie l'emporte sur tout autre sentiment. Cependant, une certitude s'impose: ces gens-là aimaient leur travail.

Superbement fait !

Superbe !
Oui le dur labeur n'empêchait pas le bonheur !!!
Heureusement d'ailleurs.

J'aime les potagers !! mais c'est vrai que le travail ne manque pas....

Je ne connaissais pas la baladeuse ..

Bravo Catsoniou pour ton texte.

Comme disent les autres, c'est superbe ! Les descriptions sont tellement bonnes que je m'y suis retrouvée à ta place. B-r-a-v-o catsoniou !!!

à la lecture de ton texte, et au remplacement de cet espace vert par un immeuble disgracieux, j'ai revu tous ces petits jardins d'ouvriers, fréquents en banlieue parisienne, quand j'étais jeune, et qui ont disparu.
j'adorais ces endroits, qui me rappelaient mon enfance à la ferme (les animaux en moins)

j'ai lu que ces jardins refleurissaient par-ci par-là... je trouve que c'est une excellente chose.

un très beau texte, cats... avec ce qu'il faut de nostalgie pour bien l'apprécier

Derrière chez moi il y a des jardins ouvriers que j'aime bien contempler, voir les alignements parfaits de légumes et de fleurs est un vrai régal pour les yeux!
Tu nous as bien fait revivre potager et marché!

Catsoniou, tu me donnes des envies de salades, de légumes sans engrais.
Je t'envie aussi d'avoir vécu tout cela, petite citadine que j'étais ! Quelle chance tu as eue !
Et enfin le plus important " travailler n'empêche pas d'être heureux et joyeux"
Tu nous le dis simplement et on y croit autrement que quand c'est le petit Nicolas qui le dit

Ton texte m'évoque cette chanson : (j'espère que le lien fonctionnera, sinon, )
https://www.youtube.com/watch?v=RYQnnyY1KNI

et la nostalgie d'une époque pas si éloignée que ça, finalement

Un superbe texte Catsoniou! Vivant, avec pleins de détails, très bien écrit ...

On te suit pas à pas dans les travaux, on visualise le jardin.

Un GRAND

J'ai sortis le mouchoir.

Je sais que je suis trop jeune pour être nostalgique de cette époque que je n'ai pas connue, mais pourtant cela me touche. Parce que je vois des immeubles qui se construisent là où était une forêt il y a trois ou quatre ans. Et puis, un peu partout pleins de choses se construisent, et j'ai du mal à me souvenir de ces ballades où l'on faisait du vélo et on mangeait des pignons de pins, ces ballades où sont maintenant plantés d'imposants bâtiments... Et puis, tu parles d’un maraîcher, et cela me rend nostalgique du lycée dans lequel j’étais l’année dernière et où on plantait encore des salades, des radis, des petits pois, des choux, des belettes… Et enfin, je crois que ton texte, est un peu la goutte d’eau, après avoir lu celui d’Amanda, qui a fait déborder le vase. Et cette consigne rejoint le cours actuel de mes pensées, où je me disais que tout cela disparaissait : lieux et métiers d’autrefois, je n’ai jamais vu de cordonnier et je pensais que c’était un métier disparut.

Merci pour ces textes que vous offrez.

Je suis touché par vos coms.
Ayant débuté la vie active par l'agriculture, puis chez les maraîchers, ensuite en usine, chaudronnerie et papier-carton (avant de devenir fonctionnaire!) , je n'avais que l'embarras du choix pour m'inscrire dans cette consigne.
J'ai choisi la description du potager car j'ai été interpellé, pour ne pas dire choqué, quand j'ai découvert l'immeuble qui avait poussé bien plus haut que les poireaux. Et mes anciens patrons paraissaient quelque peu génés pour m'expliquer le choix de l'immobilier qu'ils ont fait à près de 80 ans alors qu'ils n'ont pas de petits-enfants intéressés par le métier. Et, sans doute, la pression pour leur faire "lâcher" ce terrain enclavé dans la ville s'est fait plus insistant.

On t'accompagne à chaque étape pour notre plus grand plaisir Catsoniou !
Merci !

Citation :

Certes, le mal de dos était incontournable, mais l'aspect du carreau planté vous donnait une certaine satisfaction.

Parce que le labeur était dur.

J'ai beaucoup aimé lire ton texte catsoniou, un régal de mots avec la nostalgie

Une belle tranche de vie, Catsoniou.
Merci.

Un beau texte, prenant et vivant.