Psst !! Suivez-moi, je vous emmène dans ce qui fut mon univers toute ma vie durant.
Qui je suis ?
Un canut
Où nous sommes ?
Au pied des pentes de la colline, la mienne, celle de mes compagnons qui exercent ce beau métier.
Allez, venez on va grimper jusqu’à la cour des Voraces. Vous verrez mon lotissement.
Non, on ne prendra pas la ficelle, mais vous en faites pas, on va trabouler.
Chuuutt ! Écoutez ! Vous n’entendez pas ?
Dans chaque rue,
Bis ! Tan ! Claque ! Pan !
Dans chaque maison,
Bis ! Tan ! Claque ! Pan !
À chaque étage de la maison,
Bis ! Tan ! Claque ! Pan !
Et oui, c’est le battement sur quatre temps, du cœur de ce quartier.
Le bistanclaque*, est depuis longtemps roi ici. On a même dû construire des maisons spécialement pour lui, avec de plafonds à plus quatre mètres de haut et de poutres pour les soutenir. Ben c’est pas pour dire, mais c’est qu’c’est haut un bistanclaque, au moins trois mètres cinquante, surtout celui de monsieur Jacquard.
Moi j’en ai quatre, ils sont à moi, il a fallu que je les achète pour pouvoir travailler. Un qui est chez moi et trois autres dans une autre pièce au troisième étage où travaillent les compagnons.
Oh ! je ne suis pas tout seul pour les faire marcher, il y a aussi ma femme et mes gones*. Chaque jour que Dieu fait il nous faut les faire marcher du matin jusqu’au soir et sans bambaner. Seize heures par jour, parfois plus quand une commande doit être achevée rapidement. Pas le temps de rêver, comment pourrait-on rêver enfermé à longueur de temps dans une pièce où l’on ne voit jamais le soleil. C’est vrai, regardez ce qu’on a posé sur la fenêtre, du papier huilé pour se protéger de ses rayons. Faudrait pas qu’ils décolorent les fils de l’ouvrage. C’est que c’est fragile, ces belles pièces !
Tenez là, regardez cette pièce-ci, je viens de la terminer, elle est belle, n’est ce pas et bien elle est encore loin d’être prête. Elle doit être sans défaut sinon le commis de la Fabrique aura tôt fait de me la payer au rabais et en plus, de le noter sur mon livre. Alors avant de la livrer, je vais devoir la nettoyer de toute la poussière accumulée pendant le travail sur le bistanclaque. Puis il faudra aussi la pinceter pour,avec une petite pince enlever les moidres défauts. Après je couperai les fils et en tout dernier; ce sera le polissoir que je passerai pour lui donner son lustre et la faire briller.
Pendant ce temps, ma femme préparera le bistanclaque pour la prochaine pièce. Les flottes de soies sont déjà sur les roquets, ça c’est le travail d’un de mes gones, encore trop jeune pour se mettre devant le bistenclaque. L’ourdissage c’est la partie la plus importante de l’ouvrage, et ce n’est pas une mince affaire de nouer tous ces fils sans se tromper, les enrouler sur l’ensouple pour qu’ensuite, je puisse tisser la pièce sans problème. Pendant ce temps, les canettes préparées par la mère attendent d’être enfilées dans les navettes. D’ici peu je commencerai une nouvelle pièce puis ce sera au tour d’un des compagnons de terminer une pièce Et tant que les commandes continueront, notre vie continuera ainsi au rythme du bistanclaque.
*gone =>enfant
*bistanclaque => nom que le canut donne à son métier
Les quatre temps du métier
- bis : on appuie du pied sur la pédale pour libérer les fils
- tan : le battant se repousse,
- claque : la navette passe et butte au bord,
- pan : le battant frappe la dernière trame.
l'atelier
http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/zoom.php?oeuvre_id=650
https://www.youtube.com/watch?v=1Zm4VQGhYsM&feature=fvw