De l'eau et de la poussière

Mon métier, longtemps j’ai cru ne pas l’aimer. C’est peut-être parce que je l’ai choisi contre les autres, que je l’ai choisi parce que personne n’en voulait. Je suis plâtrier, artisan plâtrier.
Je voulais avoir mon entreprise personnelle, faire les chantiers que je voulais et travailler à ma manière. Je ne voulais pas qu’on me dise comment faire un travail que je savais déjà faire. J’ai attendu d’avoir assez de connaissances, assez de savoir-faire ; j’ai beaucoup travaillé et beaucoup observé, j’ai posé des questions, écouté les réponses et fais mes petites expériences moi-même. Et puis, je me suis dit que plâtrier c’était un boulot que peu de gens aiment faire alors qu’il était indispensable. Je me suis dit que je savais bien le faire, qu’avec de l’eau et de la poussière on pouvait faire de très belles choses et que peu de monde s’en doutait. Alors je me suis lancé et ça a marché. Oh, bien sûr mes épaules ont souffert et mes mains sont un peu abîmées. Je travaille dedans puisqu’il faut attendre qu’une maison soit hors d’eau pour que j’intervienne mais l’humidité c’est pour moi, la poussière aussi.
En fait ça me plait bien moi ce métier, il est à la fois humble et indispensable. Mon métier il est méconnu mais quand je pars d’un chantier, c’est la maison qui est méconnaissable. Bien sûr le maçon la construit mais c’est moi qui lui fais sa robe, qui adoucit sa peau. Avec moi, elle devient propre et douce, elle prend des formes et des couleurs. Je peux teindre mon plâtre pour lui donner une belle couleur ocre ou mauve ou comme il vous plaira, je peux faire toutes les cloisons que vous voulez pour organiser votre maison.
Demandez-moi et je vous dirais comment aménager cette pièce, comment cacher toutes ces misères de fils en laissant vos murs aussi doux qu’une peau de femme, comment arrondir ce coffrage maladroit de cheminée et lui donner la rondeur d’une épaule. Avec vous je discute du temps que vous me laissez et du prix qu’on peut y mettre, avec vous je discute du résultat à atteindre et je vous explique la poussière de gypse et l’eau que je mélange, le plâtre que je projette, celui que je teinte celui que j’étale avec ma taloche, je vous explique que tout ceci doit être bien calculé parce que le plâtre est impatient et ne me laisse pas m’endormir avant de l’étendre sur vos murs, je vous explique ce que je ferais et j’écoute vos attentes. De l’eau, de la poussière de pierre, mes mains et mes yeux, ma sueur et ma fatigue enfouies dans vos murs pour vous créer un abri rassurant et durable, voilà mon métier et tout compte fait, plâtrier c’est un beau métier, c’est le mien et on se ressemble tous les deux.