La colombe
Que faites-vous ici ?
L’agneau
A dire vrai, je crois que je me cache.
La colombe
Vous vous cachez ?
L’agneau
Connaissez-vous la peur ? La peur viscérale, celle qui vous pétrifie, celle à laquelle vous vous interdisez de croire, parce qu’elle est inconcevable.
(Silence)
Rappelez-vous la Shoah.
(Silence)
Les hommes et les femmes qu’on emmenait vers la mort ne se révoltaient pas. Qui aurait pu penser ? Qui pouvait se douter ?
La colombe
Personne… personne !
(Silence)
Il fut un temps ou, comme vous, j’étais un animal qu’on sacrifiait. Mais cela a passé.
(Silence)
De nos jours, les gens offrent-ils encore des sacrifices aux dieux ? Les choses ont changé, me semble-t-il.
L’agneau
Pour vous, c’est sûr…, mais pour nous les agneaux, ce n’est pas aussi simple. Cela fait tant de siècles que notre espèce est sacrifiée…
(Silence)
La lame passe une fois, puis une deuxième ; le sang jaillit et c’en est fini. Ce n’est pas tant la souffrance, voyez-vous - lorsque la lame est proprement affûtée, il n’y a pas de souffrance - , mais c’est le temps perdu, celui où nous aurions pu vivre notre vie d’agneau, puis de mouton.
Nous aimons aussi la vie, savez-vous.
La colombe
Je sais, je sais.
(Silence)
Je suis heureuse d’être entrée ici. Car, s’il y a un mystère du sacrifice de l’agneau, peut-être y-a-t-il aussi un mystère de la présence de la colombe ?… enfin, je crois…
(Silence)
Bien sûr que je suis entré ici par hasard, l’orage dehors, cette fenêtre ouverte ici et pourtant nous voici tous les deux à parler de nous, de nos destinées, de ce que nous représentons. L’agneau et la colombe…
L’agneau
C’est vrai ! L’agneau et la colombe…
(Silence)
Il me semble que j’ai moins peur, maintenant, peut-être vais-je aller les rejoindre… Devenir ce que je suis, un parmi d’autres…
La colombe
Je vous laisse. Mais je reviendrai.
L’agneau
A bientôt alors…, je vous attends !