La vie de Pierre
Pierre est un homme. Un vrai. Un dur, un tatoué, à qui on ne la fait pas. Il ne craint rien, ni personne. D'ailleurs ce n'est pas d'aujourd'hui. Petit, il redresse fièrement la tête quand son père lui balance une baffe dans la tronche, une de ces torgnoles qui laisse la trace des doigts sur la joue. Alors il fixe son père droit dans les yeux et crie : vas y frappe encore ! Cela a pour effet de le dessaouler, ce père constamment bourré.
Dans les années 80, un soir dans un bar, Pierre séduit une belle étrangère, directrice des ressources humaines d'une multinationale, grande, à la poitrine arrogante, aux cuisses musclées, et qui adore les hommes virils qui ne sont pas hostiles à quelques rudesses dans l'intimité. Pierre sait s'y prendre pour satisfaire ce genre de nanas et leur faire prendre des poses humiliantes. Il sait toujours s'arrêter à temps, pour que les marques sur le corps s'estompent assez vite.
Pierre entretient une haine farouche contre les hommes en général, son père en particulier, et tous ceux qui d'une manière ou d'une autre veulent lui imposer quoi que ce soit, pire encore, le faire obéir. C'est uniquement pour cela, qu'un soir d'été il plante un couteau dans la poitrine de son voisin, vieux célibataire sans famille, qui a le culot de lui faire une remontrance à propos de son rottweiler qui aboie trop fort la nuit. Le corps finit de se décomposer quelque part dans la forêt voisine.
Pierre a un emploi stable dans une entreprise de sécurité. Ses copains admirent sa précision au tir, sauf qu'ils rigolent moins quand il pointe son arme vers eux et fait semblant de tirer : — Arrête tes conneries Pierre !
Cette nuit Pierre va mal. Une énorme douleur dans la poitrine. C'est pas grave. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il va commencer à se plaindre. La douleur se fait plus vive. Presque aussi violente que lui. Tout à coup il entend une sonnerie dans sa tête. Il rassemble ses forces pour aller ouvrir. Il se traîne jusqu'à la porte.
— Bonsoir… Me voici… C'est l'heure…
— Qui t'es toi, espèce de connasse !
— Tu ne m'attendais pas. Je suis la Mort.
Pour la première fois Pierre se met à sangloter comme un enfant. Des bouillons de larmes. Une explosion. De la morve s'expulse des narines. De la bave dans la bouche. Et bientôt une bave rouge.
Et puis, plus rien.