En roue libre ou un amour de Coccinelle

Difficile d’imaginer deux personnalités plus différentes.

Frau Cox, ronde et gironde, bien stable sur ses quatre roues, était un modèle d’équilibre et de modération. Cette allemande de naissance, disciplinée et efficace, remplissait en quelque sorte les fonctions de gouvernante, conduisant les enfants à l’école, assurant l’approvisionnement au supermarché, organisant les déplacements de travail ou de loisir de la famille, qu’elle accompagnait aussi en vacances. Elle était sobre, robuste et discrète, désireuse de ne pas se faire remarquer. Sur la route, jamais d’écart ni d’embardée, respectueuse de la signalisation, totalement inconnue au fichier des radars. Son moteur diffusait la sourdine d’une agréable musique de chambre à 4 temps.

L’autre, appelée familièrement « La mob », offrait une silhouette maigre de gamine anorexique et affichait un tempérament rebelle. Elle n’aimait rien tant que zigzaguer sur la route, rouler sur les trottoirs et en sens interdit, renverser les étalages, se livrer à des acrobaties sur une roue. Elle éructait avec délectation en pétarades tonitruantes genre rock Heavy métal, qui faisaient hurler le voisinage. Elle avait eu nombre d’accrochages, notamment avec la police, et cumulait les séjours en centres de redressement (une fois redressement du cadre, une autre du guidon etc.)

Quant à ses fréquentations, rien que de la racaille : gamins fugueurs, petites frappes chapardeuses de sacs à main, zonards glandeurs et compagnie.

Pour la première fois, Frau Cox et la Mob se trouvaient face à face, façon de parler car se sentant de mondes différents, elles se tournaient le dos. Ce fut la Mob qui rompit la glace :
-T’es là pourquoi, toi ?
-On m’a remplacée par une jeune. C’est normal, et puis ici je vais pouvoir m’épanouir. On dit que la rouille grignote les âmes de ceux qui ne réalisent pas leurs rêves.
-Hi hi, sûr qu’ici, tu vas pas rouiller. Dérouiller plutôt. Tu sais où on est ?
- Au Paradis des vieilles voitures, forcément, regarde la devise de l’endroit : « Du bonheur et rien d’autre. »
-Craignos, le Paradis. On est chez un casseur ma vieille. Tu vas être concassée vite fait et moi itou.
-Quelle horreur ! Je ne reste pas un instant de plus !
- Et tu fais comment ? Zyeute donc le gorille à l’entrée. A moins que….Au drive-in, j’ai vu un film sur ta grand-mère, « La coccinelle à Monte-Carlo » ça s’appelait. Elle savait y faire pour se tirer des embrouilles. Faut tenter le coup !

Un peu plus tard, inspirées par les ruses de l’ancêtre, Frau Cox et la Mob s’évadaient en trombe à la barbe du gardien. Ce fut le début d’une grande histoire d’amour, moteurs à 2 et à 4 temps mêlés en effusions sans fin.

Voulant faire la fête, elles suivirent un jour les pancartes « Tous à la Manif pour tous avec Frigorific Cargo ! » Hélas, elles y furent conspuées : « UNE Cox avec UNE Mob…contre nature ! »

Ah bon ? Elles savaient qu’elles s’aimaient, elles n’avaient même pas réalisé qu’elles étaient Elle et Elle.

Rudement bien écrit ce texte ! J'ai aimé la description calme et posée de la Cox.

Je ne partage pas tout à fait le point de vue du "tempérament rebelle" du solex, j'ai trop en tête l'image d'Alain Duhamel sur sa bécane !

J'ai adoré la "silhouette maigre de gamine anorexique" du Solex, bien qu'il y ait place pour la discussion compte tenu de la largeur des pneus M'enfin, ne chipotons pas

Reste la question centrale qui est de savoir si tu n'as pas confondu le Solex avec une Motobécane, qui elle, pouvait revendiquer le nom de "mob" ! Un texte écrit par une femme, I suppose !

Superbement écrit, les comparaisons sont géniales et la chute accroche en plus à l'actualité.
Le contraste entre les deux " mondes" et le langage qui va avec renforce encore cette fable drôlement bien tournée !

Très original et agréable à lire, ton texte.
Tes deux "héroïnes" sont plus vraies que nature

Belle description de deux véhicules qui ont été des valeurs sûres...

Quant à la chute, elle donne à la morale qui serait perturbée par une nouvelle loi tout son sens : intolérance !!!

Doit on classer le Solex parmi les Mob ou avec les bicyclettes ?
( parce que si on raccrochait le levier sur la roue avant , on pouvait déambuler en pédalant sans grand effort, ce qui était difficile avec une mobylette )
Ambiguïté qui colle donc avec le rejet de la manif pour non conformité...

En tout cas :

transposé en terme de créatures humaines, tes véhicules à moteur nous interpellent , bravo pour le message de tolérance qui en émane.

La photo t'a vraiment inspirée ! Cette histoire est délectable, et si bien écrite...

Que tes person...euh, tes tas de ferraille sont bien campés !
- La cox, solide, d'une lourdeur rassurante, serviable, la voiture familiale par excellence quoi et à qui on ne la fait pas : "craignos, le Paradis"
- La mob récalcitrante, ronflante et surtout maligne, débrouillarde " elle savait y faire pour se tirer des embrouilles..."
Et pourtant, ces deux-là, si opposées, finissent par s'aimer sur fond d'actualité.
Bien vu Tober et ton histoire ne manque pas de sel et d'humour !

Belle originalité dans le traitement de la consigne.
Pour ce qui est de ton style d'écriture, je suis... Comment dire... Impressionnée! Oui, c'est le mot, et même... Très impressionnée
Cela augure de beaux textes à venir