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 A la manière de …

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4 participants
AuteurMessage
Sherkane
Kalé'reporter
Sherkane



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MessageSujet: A la manière de …   A la manière de … I_icon_minitimeVen 16 Avr 2010 - 8:30

Avis aux lecteurs : le texte que j'ai écrit s'inspire fortement du livre "Les derniers Indiens" de Marie-Hélène LAFON que je suis en train de lire.

Quand j'ai lu la consigne, vu la photo et dévoré le texte conseillé sur Google, tout s'est mélangé. J'avais l'impression que le livre que je lisais et la consigne proposée ne faisaient plus qu'un.

Alors j'ai eu envie d'écrire un texte dans la continuité du livre de Marie-Hélène LAFON.
J'ai gardé les mêmes personnages :
La famille Santoire :
Marie et Jean, frère et soeur, vieille fille et vieux garçon vivant ensemble dans la maison familiale
Pierre, le frère aîné, mort
La mère, morte elle aussi
Sans oublier les voisins chez qui la vie bruisse à chaque instant.

Les faits relatés dans le texte que j'ai écrit sortent de mon imagination. Il n'y a aucun plagiat ou copie-collé du livre de Marie-Hélène LAFON. Je me suis seulement essayé à rester dans l'atmosphère et le ton du livre.

J'espère que ma démarche ne choquera personne. En tout cas, j'ai pris un grand plaisir à cet exercice d'écriture.



A la manière de …

Plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte. C’était une de ces expressions de la mère. De celles qu’elle disait les lèvres pincées, d’un air docte. Pas une expression qui venait de la famille du père de la mère mais une phrase qu’elle avait apprise quand elle était au pensionnat. Une phrase de Molière se plaisait elle à dire. Marie ne connaissait pas Molière.

Du plus loin qu’elle se souvienne, Marie n’avait jamais entendu la mère prononcer un mot de tendresse ou esquisser un geste tendre. Sauf envers Pierre. Les traits de son visage s’adoucissaient lorsqu’elle le regardait, à la dérobée. Elle hochait la tête d’approbation quand elle le voyait s’habiller pour sortir en compagnie. Elle lui ajustait son nœud de cravate, un Santoire se devait d’être toujours bien habillé.

C’était le seul qui la faisait rire. Le seul avec qui elle passait de longues heures à discuter. Le seul qui pouvait lui tenir tête et lui désobéir.

Quand elle partait dans de grandes diatribes sur les voisins et qu’elle lançait ses phrases assassines Pierre se contentait de rire et de la provoquer. Pourquoi se préoccupait-elle tellement des voisins. Quelle importance que l’un ou l’autre soit cornard. Marie n’avait pas compris ce mot. Plus tard, elle avait demandé à son frère.

Mais Pierre était mort et la mère s’était murée dans le silence. Sa silhouette s’était encore un peu plus asséchée. Parfois elle passait des heures enfermée dans la chambre de Pierre. Marie s’en allait alors dans le jardin. Elle se mettait à éclaircir les plants, à arroser, à désherber. La sueur lui coulait dans le dos, elle avait mal aux reins à force de rester courbée. Mais elle continuait. Elle bêchait avec violence, espérant que la douleur l’empêcherait de penser.

Les voisins avaient depuis longtemps acheté un motoculteur pour leur jardin. La mère disait que c’était de l’argent gaspillé. Qu’il ne fallait pas avoir peur du travail. Le potager était grand et nourrissait toute la famille pendant toute l’année. Plus tard, après la mort de la mère, Marie l’avait abandonné. A quoi bon. Il ne restait plus qu’elle et Jean.

Elle restait dehors un long moment puis rentrait dans la cuisine. Elle se rafraichissait les mains et le visage au lavabo et s’installait à la table. Elle regardait la cour des voisins et leurs lessives en couleurs, en attendant que la mère sorte de la chambre de Pierre.

La mère ne sortait au bourg que par nécessité. Sans jamais trainer après. Cela ne se faisait pas. C’était bon pour les voisins qui n’avaient aucune tenue mais pas pour les Santoire. Une à deux fois l’an elle allait à la grande ville. Pour les affaires disait-elle. Des affaires importantes. Quand Pierre était encore là c’était lui qui l’accompagnait en voiture.

Les voisins eux sortaient souvent. Les jeunes, surtout. Ils ne rataient aucun bal ni aucun loto des environs. Ils rentraient tard dans la nuit, voire même au petit jour. Marie les entendait, elle les attendait, enfouie au creux des draps rêches et gris. Elle écoutait les bruits des moteurs, les voix chuchotées, les rires nerveux. Le matin, la mère avait sa tête des mauvais jours. Ils l’avaient réveillée. Il ne fallait pas s’étonner s’il arrivait des choses disait elle.
A dégâts délectables, des lendemains douloureux. C’était une autre des expressions de la mère. Marie s’était souvent demandé si c’était ce qui était arrivé à l’Alice. Dans les bois sombres, un soir d’hiver.

Deux ans après la mort de la mère, Marie avait demandé à Jean de l’amener en voiture à la grande ville. Jean n’avait fait aucun commentaire se contentant de la déposer près du grand jardin public. Puis il s’était garé à l’ombre pour l’attendre.

Le jardin était bondé. Des enfants blonds, aux joues roses d’excitation, se poursuivaient en riant. Des mères étaient installées sur les bancs surveillant leurs rejetons, prêtes à soigner leurs bosses ou à les consoler de leurs chagrins. Quelques couples déambulaient main dans la main le long des parterres fleuris.

Marie marchait lentement, le visage tourné vers le soleil qui lui brulait agréablement la peau. Personne ne faisait attention à elle. Elle était une anonyme parmi les anonymes. Au détour d’une allée, elle avait avisé un marchand de fleurs. Elle s’était arrêtée acheter une rose. Une rose jaune.

Elle avait sorti son porte monnaie. Petit, au cuir usé et doux. Celui de Pierre. La seule chose qu’elle avait gardée de son frère. A la mort de la mère, elle avait ouvert le tiroir de la commode de la salle à manger. Celui de gauche. Là où la mère gardait les affaires de Pierre : son porte monnaie, sa carte d’identité, son permis de conduire et quelques photos. Marie avait pris le petit porte monnaie. Vivante, la mère ne l’aurait jamais accepté.

Elle avait compté ses sous avec le plus grand soin, donnant au marchand l’exacte monnaie. La mère aussi tirait de sa bourse le billet ou les pièces avec une grande parcimonie. Comme si, avec l’argent, on arrachait quelque chose d’elle.

Une fois la rose glissée dans la boutonnière, Marie avait continué son chemin. C’est alors qu’elle avait vu la fontaine avec ses deux statues de pierre. Marie s’était immobilisée net.

Comme ce Noël. La fois où un artiste de la ville était venu installer une crèche géante sur le parvis de l’église du bourg. La mère avait eu une moue dédaigneuse. Tout cela était ridicule et coutait de l’argent. C’était bon pour les gens de la ville mais ici, c’était déplacé. Trop excentrique, trop « m’as-tu vu ».

Marie, elle, elle avait aimé cette crèche. Les santons étaient en bois. Presqu’aussi grands qu’elle. D’un bois aux couleurs chaudes qui brillait sous le ciel d’hiver. La même couleur que les montants du lit de l’alcôve, derrière le rideau de la cuisine. Marie avait caressé les santons, sentant sous sa main le bois poli et doux. Elle en avait aimé le contact. C’est alors que la mère l’avait vue et l’avait tirée en arrière sans ménagement.

Marie avait levé la main et s’apprêtait à toucher une statue de pierre quand elle fut violemment bousculée. Elle avait basculé en avant et s’était retenue sur les statues. Elle avait senti le grain dur de la pierre qui avait éraflé sa paume. Ses doigts s’étaient refermés sur les sillons creusés par l’outil de l’artiste.

Marie s’était retournée. Une bande d’adolescents se chamaillait à grands renforts de gestes et de bourrades. C’est à peine si l’un d’entre eux l’avait regardé et s’était excusé de l’avoir bousculée.

Brusquement le soleil avait paru moins chaud à Marie. L’air était devenu pesant, aussi lourd et entêtant que le parfum des fleurs de magnolia qui envahissait la salle à manger au printemps et qui la rendait malade.

Quand elle était revenue à la voiture, Jean ne lui avait rien demandé. Il avait simplement replié le journal qu’il lisait et avait démarré la voiture. Le retour s’était effectué dans un silence total.

Marie n’était plus jamais allée à la grande ville. Elle se contentait de s’installer à la table de la cuisine et de regarder les allées et venues des voisins et leurs lessives en couleurs.
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Bruyère
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Bruyère



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MessageSujet: Re: A la manière de …   A la manière de … I_icon_minitimeVen 16 Avr 2010 - 8:45

Ai retrouvé l'atmosphère de Marie-Hélène Lafon avec plaisir! Tu as très bien fait Sherkane.
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catsoniou
Kalé'reporter
catsoniou



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MessageSujet: Re: A la manière de …   A la manière de … I_icon_minitimeVen 16 Avr 2010 - 19:27

" En tout cas, j'ai pris un grand plaisir à cet exercice d'écriture."

Et pour ma part, j'ai pris grand plaisir à te lire parce que j'aime cette dscription de la vie des simples gens ... bravo
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sprite
Kalé'reporter
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MessageSujet: Re: A la manière de …   A la manière de … I_icon_minitimeDim 18 Avr 2010 - 19:01

Je ne connais pas LAFON, mais ton texte est suberment ecrit Sherkane, tout en pudeur et en petits traits discrets qui depeignent bien 'ces oublies de l'histoire'. On en redemande.
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MessageSujet: Re: A la manière de …   A la manière de … I_icon_minitime

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