Emportée par mon histoire, je n'ai pas pu (su) respecter la consigne des 2500 caractères Alors je vais encourir les foudres d'Admin, mais j'espère en sa clémence « Tu vois petit, pour moi, c’est ici que commence la liberté….
—Raconte Grand-père !
—Oui, je vais te raconter un voyage, le voyage de mes 13 ans. Nous étions en juin, en juin 1937 et depuis un an déjà mon pays était en guerre. Pas une guerre contre un ennemi extérieur, un étranger. Non, une guerre entre espagnols, le frère contre le frère, le voisin contre le voisin… Dans mon village, nous parvenaient les échos des avancées franquistes, de leurs exactions sur les populations. Ce que j’ignorais, c’est que mon grand-père était engagé dans les rangs des Républicains et qu’il était en permanence menacé de mort. Ma grand-mère a décidé que je devais partir, si possible quitter l’Espagne pour trouver un abri sûr en attendant la fin des combats. Dans son esprit la France, de l’autre côté des Pyrénées, était une destination toute trouvée.
—Tu étais d’accord pour la quitter ?
— Elle a tout organisé sans rien dire, et, une nuit, elle m’a réveillé d’un « Vite, habille-toi, tu pars en France ! » Devant mon incompréhension et mon mouvement de recul, elle a ajouté : « Ne rends pas les choses plus pénibles, fais ce que je te dis et habille-toi, tout ira bien ! »
Dans la grande salle faiblement éclairée, trois hommes attendaient…
« Paco, prends soin de lui, à dit ma grand-mère, je te le confie." Et elle m’a serré dans ses bras et poussé dehors : "Va ! Paco te conduira en France, ta cousine Manuela habite à Bordeaux, tu seras bien avec elle." J'ai balbutié: "Mais toi, abuelita, que vas-tu devenir ?" Elle a dit: "Ne t’inquiète pas, je suis vieille, il ne m’arrivera rien. Tu reviendras quand tout sera terminé. »
Elle m’a poussé dehors et Paco m’a entraîné. Je me suis retourné et, à travers mes larmes, j’ai vu sa silhouette se découper en sombre sur le fond éclairé de la pièce. C’est la dernière image que je garde d’elle
—C’était loin la France, vous aviez une voiture ?
—Oh, non ! Nous partions clandestinement et il ne fallait surtout pas se faire remarquer ! Outre Paco, notre passeur, il y avait avec nous deux républicains recherchés par la police nationaliste, qui couraient à tout moment, le risque d’être arrêtés et fusillés.
Nous sommes partis à pied, marchant la nuit, et nous cachant le jour. Paco nous avait recommandé le silence le plus total, car la forêt était infestée de partisans franquistes à l’affut d’éventuels fuyards comme nous. Pendant quelques nuits nous avons profité du clair de lune, puis nous avons marché presque à tâtons parmi les pierres, les broussailles et les troncs abattus. Les maigres provisions de Paco ont diminué à vue d’œil jusqu’à fondre complètement et c’est le ventre vide que nous avons continué, encore et encore… Gravir des rochers abrupts, dévaler des pentes bien raides et recommencer… Je ne sais pas par quel moyen se dirigeait Paco, il semblait ne jamais hésiter et nous le suivions tant bien que mal, trébuchant souvent.
Un soir, alors qu’affamés et épuisés, nous hésitions à repartir, Paco nous a dit : « C’est là-haut, la frontière passe sur cette crête… Quand vous verrez se dresser un groupe d’une dizaine de troncs morts, vous serez en France ! »
Nous n’avons pas eu le temps de nous réjouir, un coup de feu a éclaté dans la nuit. Nous venions d’être surpris par un groupe de partisans. Nous nous sommes jeté à plat ventre dans les broussailles et Paco, m’a dit : « Vas-y cours ! Cours jusqu’en haut ! Tu peux y arriver, tu dois y arriver ! Je te couvre ! »
Alors j’ai couru ! Couru comme jamais ! Je me suis étalé plusieurs fois, mais toujours je me relevais et reprenais ma progression vers les troncs dénudés. Car je les voyais maintenant, je les voyais, tout pâles dans la nuit. D’un ultime sursaut, je les ai atteints et me suis jeté dans l’herbe. J’étais en France !
Derrière moi, la fusillade avait fait rage, puis le silence des armes était revenu. Une voix inconnue a retenti dans la nuit et les bruits de branches cassées se sont éloignés. Je suis resté là longtemps, à attendre. Un silence épais s’est installé, seulement brisé par le hululement d’une chouette. Faiblement j’ai appelé : « Paco !....... Luis !......... Fernando !.......... »
Seul le silence m’a répondu. Alors, aveuglé par les larmes, j’ai regardé au-delà de la crête : là, un peu en contrebas, un village était tapi dans la nuit. Je me suis dirigé vers lui…
_ Paco était mort ?
_ Oui et les deux républicains aussi. Les villageois ont retrouvé leurs corps au petit matin…
_ Et toi ?
_ Les villageois m’ont recueilli et soigné pendant quelques temps et puis j’ai pu rejoindre Manuela à Bordeaux … Tu vois petit, pour moi, c’est ici que commence la liberté….