J’ai fait la guerre et puis l’exode aussi.
Ce jour là, les hélicoptères ont commencé à tourner à six heures du matin. Dans la ville, trois mille hommes en armes ; la veille en rentrant de promenade, j’avais vu une unité de transmissions, en plein champ, paraboles et antennes déployées ; des barbelés à hauteur d’homme entouraient le dispositif.
Tout ce déploiement de force m’a fait peur, bêtement peur, alors à huit heures, j’ai dit à ma femme que je partais. Elle a préféré rester. J’ai pris mon vélo et j’ai filé, plein ouest. Chaque pont était bloqué par un camion papillon. Je les appelle comme cela car devant le pare-chocs, ils peuvent déployer de grandes grilles qui barrent la rue et interdisent le passage. Derrière les camions, des RoboCops, en armes.
Une atmosphère d’état de siège, de calme avant la tempête. Curieusement, la campagne était paisible. Je me suis apaisé et j’ai roulé, roulé, à toute allure, malgré le vent de face. En fait, j’étais en colère et cela démultipliait l’adrénaline.
Depuis trois jours, la circulation dans le centre était impossible, il fallait être badgé pour traverser la zone rouge ; une police omniprésente ; l’armée dans la gare ; et tout çà à cause d’une photo de famille des chefs d’état membres de l’OTAN à l’occasion des soixante ans de cette alliance. Photo où ne figure pas Berlusconi qui devait, je suppose, discuter au téléphone du tarif des call-girls convoquées pour le soir.
Je suis monté à Urmatt et puis je suis revenu par Oberhaslach et Still – des paysages somptueux, c’était une belle journée de printemps – jusqu’à Molsheim où je pensais prendre le train pour revenir sur Strasbourg. Et puis j’avais encore des réserves et me suis dit que je pouvais ajouter les vingt kilomètres du retour aux quarante que je venais de faire. Je rentre donc en pédalant. Arrivé aux portes de Strasbourg, j’étais finalement assez fatigué. Peut-être avais-je été trop vite ou trop loin. Bref, j’avais mal géré mon effort et je n’avais qu’une envie, c’était d’arriver à la maison.
C’est là qu’a commencé la galère. Par le sud tout était bloqué par les manifestants qui se rendaient au Pont de l’Europe et je n’avais pas l’intention de me joindre au cortège. Par le centre, tous les accès de Strasbourg étaient fermés alors que les chefs d’état avaient déjà quitté la ville. Il a fallu que je remonte au nord et fasse un tour invraisemblable pour pouvoir rentre chez moi. Au bas mot, un détour de quinze kilomètres qui s’ajoutaient aux soixante que je venais de faire. En arrivant à l’Esplanade, le quartier où j’habite, je vois de loin une immense fumée qui monte dans le ciel. J’étais incapable de dire si cela se passait près de la maison, mais, je savais que ce n’était pas loin et me doutais que c’était sérieux.
Ce n’est que le lendemain que je découvris le désastre d’un quartier laissé à l’abandon des casseurs. Un hôtel et une pharmacie incendiés, les bâtiments de la Douane du pont du Rhin rasés par le feu et dans le quartier une multitude de dégradations sans doute moins graves, mais parfaitement visibles et qui, en tout cas, attestaient de l’espace qui avait été laissé par les forces de l’ordre aux éléments subversifs.
Et à la radio, Claude Guéant se félicitait de ce que le sommet s’était parfaitement déroulé. Madame Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur à cette époque, distribuait les satisfecit à ses troupes pour le travail accompli comme si l’ordre avait été maintenu ce qui n’était évidemment pas le cas, du moins dans le quartier du port du Rhin qui bien entendu est un quartier en difficulté.
Du coup, j’ai écrit par mail à tout un tas de députés et de journaux, suggérant que tous les sommets devant se dérouler en France, se tiennent à Biarritz, ville dont Madame Alliot-Marie est maire, ce qui, du coup, lui permettra d’exercer ses talents de Ministre de l’Intérieur plus efficacement qu’à Strasbourg.
Je n’ai, évidemment, eu aucune réponse, mais cela m’a fait du bien !