- Charles-Edouard, avons nous encore cette maison sur ce lac du Canada qui nous vient de notre aïeul, Forrest Wood ?
- Oui, très chère . Ne vous souvenez-vous pas que vous l'aviez gracieusement prêtée à Marie-Chantal et Rodolphe pour y passer leur lune de miel ?
- Oui, mais bien des lunes ont passé depuis , voyons ? Deux ans déjà … Ils n'ont donc pas besoin de travailler , ces tourtereaux ?
- Mais très chère , auriez-vous oublié que vous leur avez aussi accordé une confortable rente qui les dispense de s'user au travail pour lequel ils ne sentent aucune attirance particulière.
- Et bien, cela a assez duré ! Faites le nécessaire afin qu'ils déguerpissent d'ici deux semaines et informez-les que la rente ne sera plus versée à partir de la Toussaint .
- Mais enfin , permettez , très chère ; Marie-Chantal et Rodolphe ne sont-ils pas vos petits cousins préférés ? Et qu'allez-vous faire de cette charmante petite maison , votre générosité a-t-elle d'autres projets de bienfaisance en vue ?
- Certainement, mon ami , certainement ! N'entendez-vous pas monter la révolte dans les villes de France ? Je crains que ce bon Nicolas ne sous-estime les risques !
-Craindriez-vous une révolution ? Mais qu'y pouvez-vous ?
-Mon pauvre Charles-Edouard, vous ne comprendrez jamais rien ! Vous allez donc appliquer scrupuleusement mes consignes :
1 – vous vendez la maison sur le lac.
2 – le produit de la vente sera versé à la Sécurité Sociale , ainsi que chaque mois une somme d'un montant égal à la rente de ces deux jeunes crétins , et puis non, vous doublerez cette somme et vous achèterez une page entière du Figaro pour inciter mes amis à faire de même. Et arrangez-vous pour qu'à la prochaine manif, il y ait une caméra de télévision sur mon parcours .
- Juste ciel ! Vous n'allez pas vous mêler au peuple ? Que vont dire vos amies ? Ne serez-vous pas la risée des salons ? A moins qu'on vous désigne comme une brebis galeuse ?
- Mon pauvre ami , soyez donc au dessus de ces gourdes … Il vaut mieux lâcher du lest avant que ça tourne au vinaigre pour nous, les riches. Ces largesses n'écorneront qu'à peine mon patrimoine et l'effervescence passée, je saurais me refaire une santé financière.
- Ouf, me voilà rassuré ! Bravo , très chère !
Et voilà comment je conçois l'évolution de cette maison qui, j'en suis persuadé, serait flattée de l'aventure .
On peut toujours rêver, non ?