Dans le secret des Dieux

Et le temps s'arrête...
C’est toujours le même rituel. Il prend son stylet entre ses doigts, et tout ce qui l’entoure s’estompe, se gomme. Ne reste que la feuille d’argile, le stylet et lui.
Lui, l’enfant abandonné, inculte, ignare, lui dont personne ne voulait, est devenu scribe. Qui l’aurait cru ?

Écrire. Tracer des signes de vie dans la pierre tendre, raconter une histoire, celle d’une vie à honorer, à célébrer. Aider une âme à franchir les étapes de sa renaissance, ne rien oublier.
Il est fait pour ça. D’ailleurs, la qualité de son travail l’a désigné pour la plus honorifique des tâches : assister son maître à l’élaboration du Livre des Morts. Travailler de concert pour l’éternité, pour les Dieux ! Il a la charge des tablettes, le maître s’est octroyé le délicat maniement du pinceau sur le papyrus.
Sept ans qu’ils œuvrent, sept ans que le tap tap régulier du stylet contre l’argile rythme leurs journées. Sept ans qu’ils retranscrivent en signes sacrés toutes les étapes de l’ultime voyage.
Et chaque fois, la même image traverse son esprit…

Des tonnes de sable enfouissant la vanité des Dieux, quelques plaques séchées, aux bords effrités par l’érosion des siècles… ses tablettes, reposant au fond des tombeaux endormis. Après la renaissance du Dieu Pharaon, c’est le fruit de son travail qui veillera, auprès du sarcophage déserté, dans la pièce scellée à jamais au fond de la pyramide.
Seules les marques qu’il laisse sur l’argile pourront témoigner qu’il y a bien longtemps, un homme s’est tenu là, et a écrit l’histoire.

Parfois, il rêve.
Qu’un jour, quelqu’un le lise. Ridicule, bien sûr… qui donc pourrait trouver le chemin jusqu’à cette salle secrète ? Et quand bien même ! Qui pourrait s’intéresser au travail d’un obscur gratte-argile ? Mais tout de même… il aimerait tant que dans un futur lointain, un homme s’acharne à comprendre la signification de tous ces dessins gravés dans la pierre.

Sauront-ils, ces hommes de demain, que c’est ainsi que l’on entrait dans le secret des Dieux ?