À l'encre de mes nuits

Je suis une chouette de nuit.
J’aime cette bulle de quiétude qui développe ses lianes et me tient debout jusqu’à l’aube.
La nuit est mon moment de plume. Certains aiment écrire en plein jour, moi j’aime écrire à l’ombre de la lune.
Sa lumière lactée alimente mon désir, je claque les touches une à une et l’histoire se délie dans l’encre pourpre de mes insomnies.

Quand j’écris au soleil d’une journée de printemps, je savoure la rareté de l’offrande, les couleurs s’étalent, feu d’artifice de rouge pavot et de jaune citron...
Mais la nuit, c’est l’heure du violine, du rouge sang et du bleu outremer.
C’est l’heure des histoires à dormir debout, celles où les otaries croquent les orques, celles où le grand méchant loup a peur d’un pot de beurre, celles où l’aube naissante surprend la danse des démons.

Quand je serai vieillesse alanguie, je te raconterai les nuits agitées de mon stylo volage.
Je dilapiderai quelques instantanés, quelques pages restées vierges, faute d’avoir pu rattraper le fil d’un scénario inabouti.
Celui où tout se joue, où passé, présent et futur s’entremêlent, pour ne plus former qu’une tache d’encre sur un papier jauni.

Alors tu partiras d’un grand éclat de rire.
Dans tes yeux brilleront tous les diamants du monde, ceux que seul un enfant sait tenir dans le creux de sa paume, sans que l’ardeur de leurs feux ne brûle ses désirs.

Désirs de rêve, désirs de vie.

Quand je serai vieillesse alanguie, tu laveras dans mon encre tout ce qui t’épouvante,
tu construiras ton vaisseau et voguera confiant sur des mers improbables,
et fort de tout ce que j’aurai transmis, tu conduiras ta vie d’une main de poète,
le cœur en débandade et l’esprit rimailleur.