J’ai planté un arbre.
Dans le jardin de mon voisin.
Il n’a rien dit, il m’a laissé faire.
Il me regardait du haut de sa fenêtre, par la petite lucarne de droite.
J’ai planté un arbre en plein milieu pour qu’il voit le plus de soleil comme c’est au Nord, je l’ai choisi chez le marchand avec des feuilles toutes jaunes « je crois que c’est un frêne jaune » a dit le vendeur. J’ai trouvé ça joli, alors je l’ai acheté. Je voulais le mettre chez moi et en passant devant la maison de Monsieur Xyste je me suis dit que c’est chez lui que j’allais le planter. Ni une ni deux, j’ai pris ma pelle, j’ai franchi le portail un peu intimidée quand même, je ne l’ai jamais vu le voisin, et j’ai commencé à creuser.
J’ai oublié mon voisin et j’ai parlé à l’arbre, je lui ai dit que Xyste -Monsieur Xyste, c’est un peu long à prononcer et ça fait un peu pompeux- n’était sans doute pas un bavard, alors, lui frêne jaune, avait intérêt à se faire beau pour attirer tous les oiseaux de la rue pour qu’ils viennent chanter sur une de ses branches et lui tenir compagnie.
Je me suis reculée et j’étais très contente de mon travail, le jardin semblait moins triste et abandonné, maintenant. C’est là que je me suis rendue compte que mon voisin me regardait. J’hésitais à le regarder à nouveau, j’étais tout à coup beaucoup moins hardie et je me suis demandée ce qui m’était passée par la tête de faire une chose pareille… Peut-être qu’il allait me trainer au tribunal.
J’ai failli tourner les talons et rentrer chez moi. Finalement j’ai avancé lentement vers sa porte d’entrée et j’ai sonné, les mains pleines de terre et le cœur battant fort contre ma poitrine. Une longue minute s’est écoulée, puis la porte s’est ouverte et une domestique m’a accueillie.
Je suis restée abasourdie, bouche bée, et me suis sentie pas à mon avantage du tout en jardinière devant cette gouvernante à la tenue irréprochable… « Monsieur Xyste vous attend dans le petit salon de droite Madame Frachin »… et en plus elle connait mon nom.
Je l’ai suivie côté sud de la maison et là m’attendait Xyste, de dos, le regard tourné vers un superbe jardin bien entretenu. « Les arbres ne sont-ils pas magnifiques Madame Frachin ?»
Le salon jouissait d’une vue panoramique sur le jardin grâce à de grandes baies vitrées…
« Allons sur la terrasse, nous y serons mieux pour bavarder. Nous avons tant à nous dire, n’est-ce pas Madame Frachin ? »
C’est dans mes petits souliers plein de terre que je l’ai suivi dans son petit paradis à deux pas de chez moi, un peu penaude de m’être fiée seulement à ce que je voyais… Mais de quoi allions-nous bien pouvoir parler ???
« He bien Madame Frachin, vous qui aimez tant les arbres, suivez-moi donc ! Vous voilà bien timide ! »