Ce matin j'ai sorti mon costume.
Celui que je mets une fois par an, le jour de la journée de la femme. Un costume d'homme évidemment. Tous les ans, ce jour là, je m'habille en homme, je descends dans la rue, je me promène toute la journée.
C'est magique. Aucun homme ne me met la main aux fesses. Aucun type ne se presse derrière moi dans le métro histoire de me faire comprendre qu'il en a dans le pantalon.
Je suis rentrée chez un marchand de bagnoles. Pas chez Renault évidemment qui fabrique des voitures pour le peuple, je suis allée chez Alfa-Romeo, et j'ai attaqué le jeune vendeur bille en tête. Quoique, j'ai vaguement hésité, parce qu'il était beau comme un Dieu et que, journée de la femme ou pas, je lui aurais bien demandé de glisser son bulletin de vote dans mon urne, puisque c'est comme ça que tout a commencé en 1910, mes congénères réclamant le droit de vote. Mais bon, j'étais pas venu faire de la politique je me suis calmée les hormones, prenant un air pensif, pénétré et réfléchi, comme j'ai vu les hommes le faire quand il est question de parler très sérieusement, c'est-à-dire de parler de leur bagnole…
Vous pensez bien que j'avais étudié mon truc sur Internet, question moteur et tout, moi qui naïvement, dans ma jeunesse, pensais que quand une voiture était en panne, c'est parce que le ventilateur avait éteint les bougies.
Donc je lui ai dit : « Montrez-moi la Giulietta », et j'ai suivi le mec en me disant, bon sang, c'est pas possible d'être aussi mignon, et ses petites fesses moulées dans son Hugo Boss vont me faire craquer. Il a commencé son baratin de vendeur. La ligne, le confort, le cuir, le bien-être. J'ai pris l'air du type qui écoute vaguement et puis je l'ai interrompu tout à trac :
— le moteur 1.4 MultiAir Turbo, avec une puissance de 135 ch, n'est-il pas un peu mou ? Même si on peut penser que la technologie MultiAir permet une augmentation de la puissance de 10 % et du couple de 15 % ? Je sais bien la gestion directe de l'air, cylindre par cylindre, et cycle par cycle, sans recours au traditionnel papillon, semble une nouveauté intéressante, mais a-t-elle fait suffisamment ses preuves ?
(J'avais appris le truc par coeur la veille au soir…)
J'ai vu mon beau vendeur changer de registre. J'ai imaginé qu'il pensait : "P'tain voila un mec qui s'y connait !" Alors bien entendu, il s'est lancé lui-même dans le débit du baratin technique qu'il avait appris en stage. Et moi, je prenais des poses de mec à qui on la fait pas, je fronçais les sourcils, je me prenais le menton dans les mains histoire de faire comprendre que je n'étais pas dupe. Je ponctuais son baratin de : "hein, hein !! - Mmm ! humm ! - c'est un point de vue ! - Et autres choses du genre. De toutes façons, le vendeur, une fois branché, il peut tourner en boucle.
Pour éviter qu'il ne finisse par réaliser que je n'y connaissais rien, je l'ai brusquement interrompu et j'ai embrayé (c'est le cas de le dire…) sur un autre sujet :
— « Le sélecteur Alfa DNA , qui certes permet de personnaliser suivant son style de conduite, est-ce que ce n'est pas comment dire… Un peu trop… Automatisé tout ça… Où est le plaisir de manier la boîte de vitesses et de sélectionner soi-même ses rapports ? ( sélectionner ses rapports… J'ai eu un sourire intérieur… Je m'imaginais sélectionnant mon rapport avec ce bel Apollon…). J'ai ajouté, prenant un air complice :
— la boîte automatique c'est bon pour les femmes ! Et je me suis forcée à sortir un rire bien gras et tonitruant, … Auquel bien sûr il a aussitôt ajouté le sien…
Alors je me suis surprise à penser :
— « gros connard ! »
J'étais prête à rentrer chez moi, à remettre mes habits de femmes, à revenir dans son hall d'exposition, à le draguer ouvertement, à lui montrer que moi aussi j'en avais sous le capot…
Mais, instantanément, la montée du désir que j'avais de lui a fait pschiiitttt !
Alors j'ai coupé court.
— « Bon je vais réfléchir. »
Je suis sortie.
C'était tout vu.