Les yeux rivés

- Montez, ça commence !

Ma mère venait de passer sa tête dans l’encadrement de la fenêtre pour nous crier ces quelques mots, avant de disparaître à nouveau à l’intérieur de la cuisine.

Il n’était pas nécessaire de nous en dire plus. Nous qui d’habitude trainions la patte pour rejoindre l’appartement lorsqu’elle nous intimait l’ordre de venir manger, nous avons cette fois-là monté les deux étages quatre à quatre, c’est à qui arriverait la première pour avoir la meilleure place sur le canapé du salon. Il n’était pas question de rater l’émission.

L’objet de toutes nos attentions ce jour là, c’était le petit téléviseur noir et blanc qui trônait sur un vieux meuble, dans un coin de la pièce.

Je me souviens de l’apparition du sigle ORTF, puis Jean-Claude Bourret nous a annoncé qu’on avait marché sur la lune. Suivirent les images floues nous venant directement de là-haut, la voix à peine audible de Neil Armstrong, les commentaires sarcastiques de mon père, les yeux brillants de ma mère et nos bouches en cœur, figées de surprise.

J’avais neuf ans, je n’avais encore jamais vu la mer, mon voyage le plus long était celui que l’on faisait chaque dimanche pour aller voir ma grand-mère qui vivait à soixante kilomètres de là. Je pensais que la France était immense, qu’il ne suffirait pas d’une vie pour faire le tour de la terre et que je ne monterais jamais dans un avion.

Ce soir là, lorsque la nuit est tombée, j’ai regardé le ciel avec d’autres yeux, j’ai observé la lune, dessiné son contour, fixé ses cratères. J’ai même cru apercevoir un petit bonhomme vêtu de blanc sautant de joie.

Le 21 juillet 1969, Neil Armstrong marchait sur la lune et le monde entier avait les yeux rivés sur lui.