Soliloque pour pattes de velours.C’est un fait établi, dans cette maison où les chasseurs règnent en maître, il n’y en a que pour les chiens ! Tout particulièrement pour Tom, un griffon de trois ans mon aîné.
Le pauvre, je ne lui en veux pas ! Ce n’est pas de sa faute si les humains n’ont aucun discernement. Il est si câlin avec moi, même si je n’apprécie guère ses effusions de retour de chasse, quand de son pelage crotté montent de lourds remugles de fumier.
Ce matin au retour d’une traque au renard, épuisé, il s’est carrément effondré sous la table.
Paul, le fils aîné, profite du déjeuner pour narrer ses exploits cynégétiques et pour lancer une de ses remarques qui ont le don de m’exaspérer :
« Ce chien est d’une intelligence rare, il ne lui manque que la parole ! »
Il me semble deviner un soupir de lassitude sous la table. Mes moustaches en frémissent et je me retiens de miauler ma désapprobation.
Le sot ! Il ferait mieux de se taire et de ne pas déplorer notre absence de parole ! Parce que si tel n’était pas le cas, lui et ses semblables pourraient amèrement le regretter…
Comme dit Laure, ma maîtresse qui, elle, a des lettres et les utilise à bon escient :
« Ne réveillez pas le chat qui dort… »
La journée, comme tous mes congénères, qu’ils soient de gouttière ou de belle lignée, je sommeille ou fais semblant… mais les oreilles et l’œil unique qui veille tapi dans la fourrure enregistrent fidèlement le présent. Et parfois il s’en passe de belles dans la maison ou dans le voisinage immédiat ! Oh, rassurez-vous, je suis observateur mais non délateur ! Nous savons être discrets, nous autres félins, et même si nous n’avons pas souvent les réponses à nos questions, nous faisons avec et n’avons pas besoin de donner notre langue à qui que ce soit…
Le soir, quand les souris sont aux abonnés absents, je monte là-haut dans mon royaume. Le zinc est encore tiède de la touffeur du jour. La nuit n’est plus qu’un océan d’étoiles où pointent çà et là les peignes métalliques des antennes de télévision. Je vais, je viens, je me faufile, j’écoute, je m’arrête et repars, ombre lente et silencieuse… En bas la vie continue. La vie de ceux qui nous ont fait l’immense honneur de nous accepter à leurs côtés. La vie qui va, parfois si triste et si mesquine…
Je suis trop vieux à présent pour songer à redevenir sauvage et opter pour la liberté définitive. Et puis en cette douce nuit de printemps, quelque part entre terre et ciel, je vais retrouver Mirette qui saura, elle, me faire oublier pour un temps le fardeau des années…
Demain, par un louable souci de respect de notre vie privée, vous omettrez soigneusement de me demander si d’aventure nous avons joué à chat perché…