Chambre d'hôtel

Modératrice

En ai-je fait des projets, assise là dans cette chambre du petit hôtel miteux où je venais me réfugier après chaque dispute ! Des disputes de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes et, ici, des escales de répit de plus en plus nombreuses… Dan a même fini par croire que je venais y retrouver un amant.
Mais mon amant c’était le rêve. Rêves de voyages qui m’emporteraient loin de ce coin de campagne poussiéreux, écrasé de soleil, que j’apercevais par la fenêtre.

J’ai tant feuilleté l’indicateur des horaires de la Greyhound Lines qu’il est devenu quasiment illisible, mais qu’importe, maintenant je le connais par cœur. Et ma décision est prise. J’ai rassemblé mes rares économies et j’ai acheté un billet pour Phénix. C’est tout ce que peux me permettre pour l’instant : enfin une grande ville pour me perdre, loin d’ici. Loin de la chaleur étouffante, de la lumière aveuglante et loin de Dan et de sa violence. Nous verrons plus tard pour New-York, mais je sais qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et mon maigre bagage posé à côté du lit me rappelle que, si je pars, je ne possèderai plus rien.

Alors, je reste là, encore hésitante, indécise, désorientée, comme prise de vertige devant ce saut dans l’inconnu. Pourtant il faut que je m’habille, l’énorme autocar au lévrier gris va bientôt s’arrêter à la gare voisine et pour très peu de temps dans un si petit trou perdu d’Arizona.

« Secoue-toi Jo, tu ne peux plus reculer après l’horrible scène de ce matin. » D’ailleurs, je n’ai pas hésité quand j’ai saisi la bouteille de gin qui avait roulé par terre. J’ai frappé Dan de toutes mes forces décuplées par la peur. A la tête. Il s’est écroulé sans un gémissement. Et je me suis enfuie, saisissant mon sac au passage.

Je ne sais pas combien de temps il va mettre pour revenir à lui, et partir à ma recherche. Comme d’habitude, il viendra directement ici. Il faut que je sois loin quand il montera lourdement l’escalier en braillant mon nom : « Jo ! Nom de Dieu ! Je sais que tu es là ! Sors ou j’enfonce la porte !»

J’ai fini de m’habiller et je vais sortir. J’entrouvre la porte pour voir si la voie est libre…
Quelle malchance, il va falloir que j’attende ! Quelqu’un est en train de monter. Ce n’est pas Dan… J’entends des voix, ils sont plusieurs… Ils parlent entre eux… Je ne comprends pas tout ce qu’ils disent… On dirait qu’ils chuchotent… Ils se sont arrêtés sur le palier et au milieu des murmures indistincts, je saisis des mots qui me glacent le sang «… homicide volontaire… »

Là-bas, sur la place ensoleillée, un puissant coup de klaxon retentit, il appelle les passagers pour un départ imminent… Un départ qui se fera sans moi…

Admin

Très belle écriture, texte soigné, ambiance parfaitement décrite.
Jusqu'au bout j'ai espéré la fuite de Jo, pour une vie meilleure, mais toutes les histoires ne finissent pas aussi bien qu'on le voudrait.
Bravo Nerwen, j'ai pris un grand plaisir à lire cette histoire.
C'est toujours un régal de te lire salut bas

**Maîtrise le sujet**

C'est vrai qu'on endosse aisément le costume de Jo et qu'on se voit déjà parti avec elle... Partis pour un ailleurs, une possible résilience, une autre vie ...
Et paf ! La fin nous ramène à la cruelle réalité ! Bien joué, Nerwen !

**Maîtrise le sujet**

Ce qui est surprenant c'est que la plupart des textes de cette semaine se termine par une mort !

Kalé'reporter

Très bonne mise en scène… Qui plus est documentée cool !

Et en plus : belle écriture… !
bravo!

Juste une remarque de détail :
quelle entente : «… homicide volontaire… », c'est un peu moins crédible dans l'action. C'est plus une parole de procureur qu'une parole de flic. ( Oui, oui… Désolé, j'ai été juriste… !) j'aurais préféré quelque chose du genre : « attention, elle a buté son mec, elle est peut-être dangereuse… »

Invité

Très belle écriture Nerwen. On vit complètement les désillusions de Jo, ses peurs et ses incertitudes face à l'avenir. Mais elle ne partira pas : elle va payer pour l'acte
commis. Son avenir s'arrête au seuil de cette chambre d'hôtel. J'ai aimé te lire. Bravo. sunny

Modératrice

Excellent ce texte et tu es bien au courant pour les bus " Greyhound" bravo!

Attention, cependant, Phoenix est aussi chaud et étouffant que la ville où elle se trouve, elle risque d'être décue...
Mais comme elle ne s'y rendra pas, sauf si quelqu'un paie sa caution et qu'elle soit libérée...
Ben quoi, regardez DSK, ça marche.. mort de rire

Ceci dit et avec retard quel talent !

Du pur Hopper mixé à la Hitchkock avec une pointe d'Harlan Coben, une vraie réussite ! flower

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