Vidéo-Dieu

Décidément, les hommes n’étaient bons qu’à tout casser. Déjà en disloquant l’atome, ils avaient frôlé l’apocalypse. Plus récemment, ils s’étaient mis en tête de fracturer le schiste comme on brise une tirelire pour ramasser le pactole ; et cette fois ils avaient décroché le gros lot, le schisme du schiste ! Ils auraient pourtant dû savoir que depuis la Genèse, séparer les éléments n’appartient qu’à Dieu. Et voilà, martyrisé, comprimé, fractionné, noyé, le schiste était retourné à son état primitif d’argile, une masse molle et compacte qui avait recouvert toute la terre, submergé les villes et comblé les océans.  

Dieu contemplait la grosse boule de glaise devant lui. Retrouvant ses gestes du fond des âges, il façonna une Eve puis un Adam et comme il lui restait beaucoup d’argile, il confectionna une quantité de briquettes qu’il assembla comme fait un enfant avec ses legos. Les circonvolutions d’un labyrinthe se dessinèrent, se démultipliant à l’infini. A la sortie, il posa une grosse pomme et un peu plus loin, Eve, en costume d’Eve. Et au centre du labyrinthe, il plaça Adam, mais pas en costume d’Adam, en costard de voyageur, une valise à chaque main.  Puis il plaça une grosse pomme à la sortie.
Dieu avait maintenant une idée précise de ce qu’il allait faire. Fiat lux ! Des petites lampes illuminèrent le dédale. Il fixa les règles du jeu. Si Adam parvenait à sortir et si lui-même et Eve mordaient dans la pomme en même temps, alors ils auraient le droit de s’aimer et tout recommencerait. Oui, ça faisait bien des « si » mais après tout, il avait placé dans leur tête quelques parcelles d’esprit divin. Et maintenant, à fond les manettes !


Adam avançait dans le dédale. Pour faire progresser le jeu, Dieu lui donnait de temps en temps l’intuition du bon itinéraire. Adam apercevait la sortie et la pomme, luisante et ronde et colorée, tellement désirable après toutes ces lignes, tous ces angles droits et ces murs gris. Et encore plus que sa joliesse, il se sentait attiré par un mystère enclos sous la peau du fruit et d’où sourdaient des ondes à peine perceptibles, qui pourtant  faisaient battre son cœur plus vite. Mais dès qu’il approchait, Dieu cliquait et recliquait envoyant des décharges éclectiques au bonhomme, qui reculait et courait se perdre à nouveau dans les entrailles de pierre.


Eve s’approcha de la pomme. Comme sa peau semblait douce et son parfum enivrant ! Le serpent se coula vers elle, ondulant et chatoyant, avec de petits yeux intelligents et bienveillants.
– C’est une pomme d’amour, dit-il et ça se croque à deux. Eloigne-toi, le moment n’est pas encore venu.
Mais Eve ne put résister. Ses mains caressèrent l’enveloppe fraiche, ses lèvres s’ouvrirent en un baiser et ses dents détachèrent un morceau de chair  pulpeuse. Mais la parcelle resta coincée dans sa gorge et elle tomba inanimée. Le serpent eut un sourire triste. « Peut être, peut-être y aura-t-il une autre chance…"


Par la minuscule fenêtre qu’Eve avait ouverte dans la pomme, des ondes de joie s’échappaient librement  et se propageaient très loin. Adam les ressentait et cela décuplait son énergie. Il leva la tête vers le ciel et se dit que la solution était peut-être là haut. Il se souvint d’un monticule de terre oublié dans un recoin. Après de nouvelles errances, il y parvint et se hissa sur le mur. C’était étroit, mais équilibré par les valises, il avançait rapidement.
Dieu agitait frénétiquement les manettes. Depuis qu’Adam était grimpé sur le mur, il n’avait plus aucun contrôle sur lui. Bien sûr, il aurait pu le faire retomber, mais il n’allait pas s’abaisser à tricher. D’ailleurs la partie n’était pas terminée. « mordre dans la pomme en même temps », avec la situation actuelle d’Eve, c’était loin d’être gagné pour eux. Grosse inconnue quand même, « L’autre », le tortueux, le malin, avait réapparu. Quel jeu allait-il jouer, lui ?


Adam sauta du mur, content de voir le serpent ; enfin quelqu’un à qui parler.
– Ouf , fit-il, quelle épreuve ! J'aimerais dire deux mots à l'architecte.
L’architecte ? « Le Grand architecte », comme il s’est baptisé lui-même. Tu le trouveras là-haut, tout là-haut.
En attendant, Adam se dirigea vers la pomme tant convoitée
– Regarde plutôt par là, dit le serpent.
Adam vit Eve, sa peau plus douce que la pomme, ses rondeurs infinies, plus séduisantes que celles du fruit.
– Tu ne crois pas que sa bouche est faite pour la tienne ? demanda le serpent.
Adam approcha ses lèvres et les posa sur celles de la femme, provoquant un hoquet qui fit remonter la parcelle de pomme. Dans le baiser, cette dernière se trouva à cheval entre les deux bouches, qui la mordirent au même instant.


Perdu ! soupira Dieu. Mais voyons, il n’allait pas se montrer mauvais joueur, et pas mauvais tout court alors que l’autre avait joué les sauveurs. Et Dieu se montra Grand seigneur : lorsqu’Adam et Eve eurent repris leur souffle après le long baiser, ils virent qu’une prairie piquetée de fleurs s’étendait autour d’eux.

Dieu avait maintenant une idée précise de ce qu’il allait faireFiat lux : pas compris!!!!

Je pense qu'il y a aussi quelques erreurs dans le 5eme paragraphe.
Et pour l'avant dernier, je ne suis pas sure d'avoir compris: c'est la pomme qui se trouve entre leur bouche?
Dieu est assez pervers, a inventer un tel jeu

Merci Admin ! J'ai corrigé les bourdes du 5ème paragraphe.
Et il manquait un point avant Fiat lux. J'espère que c'est plus clair. Oui, c'est le morceau de pomme qui se trouve entre les deux bouches.

Pour ta dernière question : les dieux de Lovecraft sont encore bien plus méchants !

C'est mieux  

J'espère que tu auras le temps de participer aux 48heures d'écriture organisées par Edilivre car tu en es tout à fait capable.  

Une vision totalement nouvelle, un texte riche, bien structuré...

Quelle idée de jouer avec Dieu ! Bien vrai qu'il a perdu le contrôle des manettes, à voir ce qui se passe !
 

Chapeau bas pour ton texte !  original et surprenant.

Mais qu'allons-nous devenir si les puissances supérieures là-haut se mettent à taquiner le joystick ? Feraient mieux de se mettre au boulot, y'a du relâchement  

Si j'ai bien compris : après que les hommes eurent par leur inconséquence détruit le monde, Dieu s'est remis devant son ordi ou aux manettes de son jeu favori pour fabriquer un nouvel Adam et une nouvelle Eve. Bon. Tout est toujours un éternel recommencement. Mais pourquoi deux pommes ?
Quelle imagination Tober ! Tu penses vraiment que Dieu est assez tordu pour manipuler ce pauvre Adam et lui faire toutes ces misères dans un labyrinthe ? Mais Dieu ou le diable hein...

Les4vents : en fait j’ai pris des éléments de la Genèse et je les ai remixés à ma façon. Ici la pomme, représente la vie, la couleur, la rondeur, par opposition au labyrinthe rigide et froid. Je l’ai qualifiée de « pomme d’amour « en référence aussi à certaines interprétations de la Bible qui voient dans le fait de croquer la pomme le « péché de la chair » Quand au Diable, ici il est bien meilleur que Dieu. Malgré tout, je n’ai pas été trop méchant avec ce dernier puisque finalement il se montre beau joueur.
Ceci dit, il ne faut pas chercher des significations philosophiques derrière ce texte : je me suis surtout amusé à imaginer et à délirer une peu. Prétexte à écriture avant tout.