Objet : quatre pour un !!!

Kalé'reporter

- Non ! Décidément, vous êtes impossibles !

- Tu ne nous feras pas dévier d'un iota : ensemble, nous œuvrons, ensemble voulons-nous paraître sur le Net !

- Oui ! Et ne viens pas tenter la diversion au motif fallacieux que moi, la pierre à affuter , j'ai une origine différente de mes amis, le couteau et la fourchette.

Et la planche à découper d'acquiescer doctement :

- Nous sommes tous les quatre entièrement solidaires...

- Soit ! Une fois de plus, je vais encourir comme Dominique la peine maximum avec la différence que là, si complot il y a, vous en êtes les promoteurs incontestables. OK , OK ! Me voilà donc contraint de détourner la consigne 170ème du genre : il était question d'un seul objet et non de quatre petits capricieux ! Vous me compliquez sérieusement la tâche.

- Ça , c'est ton problème... Et tâches de nous faire apparaitre sous le meilleur angle! Oui, en faisceau, bien centrés sur la planche, nous sommes à notre avantage.

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Le croirez-vous ? En cette nuit de pleine lune, avant de me tenir ce discours surprenant, ces quatre objets ont mené dans ma tête une sarabande effrénée pour tenter d'obtenir le vedettariat de la consigne 170. Non sans s'être auparavant déchirés à belles dents. L'observateur avisé décèlera les séquelles du combat, à moins que ce soit les inévitables traces du temps qui passe, tant sur la planche que sur couteau, fourchette et pierre.

Comme moi, vous leur pardonnerez cette incartade car ils ont derrière eux une longue histoire. Avant d'officier de concert face à un rosbif, une canette rôtie, un poulet, voire plaisir raffiné tant il est rare, dans le découpage d'une oie, les quatre compères résidaient en des lieux différents, maniées par des mains aujourd'hui disparues.

Support incontournable, la planche est issue d'un noyer qu'Armand le charron, devenu négociant, fournisseur des ébénistes locaux, avait acheté entre Limousin et Quercy. Pressé par Marie-Thérèse, son épouse, qui prétendait qu'à l'instar du cordonnier toujours le plus mal chaussé, son homme, marchand de noyers, scieur de surcroît, tardait à la doter d'une planche présentable et pratique, indispensable pour l'ultime transformation de la volaille rôtie en garniture de plat. Jeune marié, sans le savoir, j'ai bénéficié du concours de la planche au cours de ce mémorable repas de famille où le vieux couple sans enfants avait invité leurs six neveux et nièces - dont mon épouse - considérant que plus tard, en raison de la vieillesse qui s'annonçait, ils ne seraient plus en mesure d'assumer une telle tâche. C'était dans cette bonne commune corrézienne où l'on produit aujourd'hui le « Mille et une pierres »...

Pour sa part, la pierre à aiguiser n'était pas si éloignée... D'ailleurs, son propriétaire, mon père connaissait fort bien l'Armand qui deviendra plus tard mon oncle « par alliance ». Cette pierre disais-je, menait une double vie. Elle résidait, pendant les mois d'été, dans une corne de bovin évidée que papa portait à la ceinture pour affiner la faux dont il usait avec dextérité pour couper foin ou regain, éventuellement blé, orge ou avoine, pour y laisser « les traces », passage obligé pour la moissonneuse-lieuse tractée par une paire de bœufs. Le reste du temps, elle sommeillait dans le tiroir de la table de cuisine, prête pour tout éventuel affutage d'un couteau dont le fil laissait à désirer.

- Chut !!! Veux-tu te taire, toi la meule de l'oncle Ernest . Je sais, je sais : on a recours à ton grain de grès rouge pour le véritable affutage des couteaux de cuisine. Mais là, je suis intraitable, tu es hors sujet, car tu ne saurais être remisée dans un tiroir ou un placard !

- N'empêche que j'aurais des choses à dire …

Revenons à nos moutons, ou plus prosaïquement aux objets de tiroir, et plus particulièrement couteau et fourchette qui à leur grand dam, pour des raisons de commodité, ne partagent pas le même lit, pardon tiroir. Pourtant, ils ont une longue vie commune. Très longue même : selon ma moitié à l'instant même, ils appartenaient à Sandrine, sa grand-mère maternelle qui avait été cantinière en région parisienne pendant la guerre 14-18 … avant de devenir bonne de curé. Plus tard, ces ustensiles simples, tout en étant d'une efficacité redoutable dès lors qu'il s'agit de trancher dans le vif, devenaient tout naturellement propriété de Berthe qui est, l'amour aidant, devenue ma belle-mère.

Couteau et fourchette, vénérables Parisiens, ont migré dans le Bourbonnais, avant d'échoir en Corrèze à la Libération suite au décès accidentel de feu mon beau-père. Je suis convaincu qu'il a plus souvent qu'à son tour, tempêté contre le couteau à qu'il fallait sans cesse filer un bon coup de fusil. Hé, oui : à défaut de pierre, on peut aussi affuter le fil de la lame avec un fusil. Nécessité incontournable si on veut disposer d'escalopes et entrecôtes bien nettes pour contenter le client, car beau-papa avait été boucher...

Je ne sais quels sont les critères qui ont valu à ma moitié cette distinction, mais Belle-Maman a décidé que couteau et fourchette devaient, de son vivant, émigrer à nouveau pour s'installer à portée de main dans notre propre cuisine. Je n'irais pas jusqu'à dire que cela a suscité une fraternelle querelle, mais cependant, certain(e)s ont fait remarquer qu'il y avait là une préférence qui ne se justifiait pas.

Objet : quatre pour un !!! 00110

Ah, tais-toi, montre de gousset ! Nous connaissons tes origines d'Outre-Rhin dans les années vingt du siècle dernier et la possibilité de te glisser dans un tiroir en conformité avec l'esprit de la consigne 170 mais je ne saurais me permettre de monopoliser l'attention du lecteur. D'autant qu'en matière d'heure plus ou moins exacte, pendulette et comtoise feraient valoir leurs revendications assorties comme il se doit d'une longue histoire...