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 Par ici la bonne soupe...

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4 participants
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Jean Pierre 19
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Jean Pierre 19



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MessageSujet: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitimeMar 29 Nov 2011 - 11:37

En ces temps de froidure revenue, j'ai retrouvé pour vous quelques souvenirs d'enfance relatifs à la bonne soupe de nos campagnes... Je me tiens à la disposition des lecteurs pour expliciter certaines tournure locales. Désolé pour la longueur inusitée du texte !...


Par ici la bonne soupe

- Tiens! s'exclamait invariablement ma mère, après avoir constaté que la marmite de fonte sonnait le creux, il va falloir que je monte la soupe !
Cette façon de parler, typiquement limousine, se révélait, comme il se doit, parfaitement hermétique aux non-initiés et aux "étrangers". Situation cocasse qui conduisit un jour son instituteur de gendre, pour le moins perplexe, à lui demander :
- Mais enfin ! Où voulez-vous donc la monter ? ...
Ce fut l'occasion - juste retour des choses ! - d'un bref instant de pédagogie sur le thème des coutumes locales.
Il n'était, auparavant, de maison campagnarde qui n'ait sa cheminée, noire et profonde, personnage central de la cuisine. Cette cheminée ne représentait en aucune façon le luxe suprême de nos demeures d'aujourd'hui, le raffinement d'un salon douillet agencé selon les règles de l’art. Elle se voulait avant tout utilitaire.
Gazinière, plaque électrique ou chauffage central étant des mots vides de sens, la cheminée ou "cantou" si vous préférez, remplissait une double fonction: chauffer et permettre la cuisine.
Et encore pour la première, ne fallait-il pas être spécialement frileux puisque, selon l'adage consacré, auprès d'elle on s'y rôtissait les jambes tout en s'y gelant le dos, des vents coulis venus d'on ne sait où se chargeant de parachever l'œuvre entamée. Quant à la fumée, en particulier lorsque soufflaient les vents rabattants, elle faisait partie intégrante du paysage... Au fond du foyer, contre la muraille, se trouvait généralement fixée une plaque de cheminée à la fonte caparaçonnée de suie. Juste devant, au bout d'une chaîne, pendait un large crochet à crémaillère auquel l'on suspendait la marmite au-dessus du feu. Naturellement, pour ce faire, il fallait soulever le récipient, opération par ailleurs fort malaisée et parfois source de brûlures domestiques lorsqu'il se trouvait plein à ras bord… L'expression "monter la soupe" s'en trouvait du même coup clarifiée ! Il ne s'agissait donc pas, comme devait le supposer le beau-frère, de hisser la marmite au grenier pour quelque obscure raison, mais bien de la placer sur son crochet en position de chauffe !
Après tout, le rite immuable, une fois achevée la construction de la maison, n'était-il pas également de "pendre la crémaillère" ? Autre façon de "monter !" ...
Ceci pour prouver, si besoin était, que la soupe occupait, dans nos campagnes, une position privilégiée. Roborative, économique, vite préparée, elle se trouvait parée de toutes les vertus. La ménagère, pressée par le travail des champs, pouvait l'abandonner sans vergogne sur son lit de braises. A son retour, longuement mitonnée, elle ne s'en trouverait que meilleure...

Vous ne savez pas faire la soupe ? Allons donc ! Vous ne feriez penser à ces pauvres bougres, mêmes pas capable de faire jaillir des flammes et d'entretenir le feu. On disait d'eux, dans les temps anciens, qu'ils n'étaient bons à rien, pas même à prendre épouse...
Une marmite noire, à la panse ventrue, fera parfaitement l'affaire. Une poignée de sel gris, une prise de poivre (quand il en reste), de l'eau pure puisée au seau, quelque cuillerée de graisse de porc ou de canard ou, mieux encore, une belle couenne de jambon, tels sont les ingrédients de départ.
Ensuite, c'est à la fortune du pot et selon la saison : pommes de terre, carottes, haricots frais, rave nacrée, céleri parfumé, poireau du jardin, citrouille... Et pourquoi pas lentilles ou pois cassés ? Rien n'est banni, tout est possible...
Un feu flambant là-dessous et la marmite commence à chanter, à "jarjoter" comme on disait joliment dans notre patois. Point de surveillance ou de touillages intempestifs, la soupe cuit bien toute seule et c'est l'odeur qui ne manque pas de se répandre alentour qui vous renseigne sur l'avancement de l'opération...
Ah l'odeur ! Qui n'a jamais reniflé les effluves s'échappant du couvercle crachotant à petits jets pressés, ne connaîtra jamais rien des joies simples de l'existence. Les narines paternelles en palpitaient telles celles de son chien de chasse, si d'aventure, il rejoignait le logis en pareil instant...
La difficulté commençait au moment sacro-saint de "tremper" la soupe, ce qui ne voulait pas dire, mais vous l'aurez compris, qu'on proposait à la marmite un court voyage vers la "pissette" de la fontaine municipale...
Il s'agissait simplement pour le maître de cérémonie, muni d'un large couteau convenablement affûté, de tailler dans un chanteau de seigle ou de pain noir de fines tranches rassies qu'il déposait dans le fond de la soupière. Jamais de pain blanc que l'on accusait, à juste titre, de transformer la bonne soupe en un magma collant et insipide ! Ceci fait, la préposée à la marmite déposait par-dessus un nid de légumes variés et arrosait bellement le tout de liquide fumant, avant de refermer prestement le couvercle. Lentement, mais sûrement, le pain "prenait" le bouillon qui se colorait en brun. La soupière, trônant en majesté au beau milieu de la table, faisait attendre ses soupirants.

Pour les estomacs délicats de certains invités ou à l'occasion de tablées festives, le bouillon de base se voyait remplacé par un autre, plus corsé, dans lequel avait cuit une vieille poule ou un morceau de pot au feu entrelardé, le vermicelle venant alors supplanter pour un jour le pain noir. Comme d'autres avant moi, j'attendais que le couvercle enfin se soulève afin d'admirer les géométries improbables que dessinaient les "yeux", voguant à la surface du potage, et peut-être de deviner les lettres sous-jacentes si ma mère avait, pour mon plaisir, utilisé du vermicelle-alphabet !
Ce qui n'empêchait nullement les uns et les autres de sacrifier à la sacro-sainte tradition du "chabrot" ou "chabrol", appellation variable selon les cantons. Mon père et nombre de ses compatriotes ne manquaient jamais de verser une confortable rasade de vin rouge lorsque ne restait plus au fond de l'assiette creuse que deux doigts de bouillon. Ce "chabrot" ou "chabrol" limousin ( que si j'en crois certaines sources autorisées, on baptisait également du joli nom de "coup du médecin ? ! " ) leur dessinait des moustaches pourpres, tant le vin râpeux de nos coteaux savait se faire remarquer. Les puristes prétendaient que c'est le dos de la cuillère qui devait servir de repère pour le niveau du vin à verser. Certains convives - dont par décence, je tairai les noms - ne devaient pas être au courant de tels usages et exagéraient franchement sur la quantité de gros rouge, le bouillon n'étant plus là que pour faire de la figuration et détourner les remarques acerbes de leurs légitimes !

Personnellement, - aurai-je du sang autre que limousin ? - je n'ai jamais vraiment goûté cette pratique. Par contre, très tôt et jusqu'aux environs de ma onzième année, j'ai pris plaisir à verser dans mon assiette un peu de lait crémeux, de ce bon lait que les vaches d'avant savaient nous fabriquer avec une égale constance !
La ponctualité toujours fidèle de mon appétit doit expliquer aussi, sans doute, le fait que, dans mon enfance, je n'ai eu que très rarement droit au péremptoire :
" Mange ta soupe !" ou à sa version raisonnable :
" Si tu veux grandir, il faut manger ta soupe !"

Aujourd'hui, plus de cinquante ans ont passé. Force est de constater que j'aime toujours la soupe, peut-être plus encore qu'hier, comme si quelque part, ce lien ténu me rattachait encore aux racines de mon passé...
Oh, bien sûr ! Les légumes ne viennent plus du potager paternel, le lait sagement aseptisé au fond de sa brique tapissée d'aluminium a cessé de visiter mon assiette, l'eau du robinet empeste parfois le chlore et la vapeur rageuse de la cocotte-minute a remplacé le gargouillis rassurant de la marmite en gestation. Et, injure suprême, de prétendues soupes en boîtes ou en bouteilles, dans lesquelles le meilleur se trouve assurément sur l'étiquette champêtre qui les recouvre, sont venues faire la nique à leur rustique devancière…
"Que voulez-vous, il faut bien vivre avec son temps!" prétendent les philosophes et les amnésiques.
N'empêche ! Lorsque je porte à la bouche la première cuillère d'une soupe du jour, il me semble entendre les pas de mon père arrivant par l'escalier de l'atelier après avoir remisé sa voiture au garage, sa journée terminée. Lorsqu'il pénétrait dans notre cuisine, son regard se posait tout naturellement sur la cuisinière où la soupe, - SA soupe devrais-je dire ! - frissonnait dans la casserole fleurie. Je reste persuadé qu'au long de sa dure journée de labeur, il n'avait cessé de songer à cet instant... Son œil s'y accrochait comme à un reflet ami, une preuve tangible du bien-être domestique...
Du reste, cette assiette de six heures passées ne l'empêchait nullement d'en avaler une seconde lorsque, une heure plus tard, nous dînions ensemble ! ...

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Dernière édition par Jean Pierre 19 le Mar 29 Nov 2011 - 15:27, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitimeMar 29 Nov 2011 - 15:06

Tu m'as fait voyager loin, loin, loin...
Dans la cuisine de ma grand-mère, là-haut, sur le causse comtal.
Ma tante, devenue adulte, disait toujours à ma grand-mère:
"On aura beau prendre les légumes de ton jardin, l'eau de ton puits, le lard de ton jambon, notre soupe, faite ailleurs que chez toi, n'aura jamais le même goût, la même saveur...
Là-haut aussi, on faisait "chabrot"
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MessageSujet: Re: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitimeMar 29 Nov 2011 - 16:37

Ah ! Jean Pierre : les larmes me montent aux yeux. Nous avons bien les mêmes racines ancrées tout-au-fond de nous. Contrairement à toi, j'aime faire "chabrot" quand la soupe est de pot-au-feu ou de poule, avec du vermicelle. Et JM et moi, buvons religieusement ce fond d'assiette sans un mot, chacun pensant très fort à son enfance quand nous regardions les adultes sacrifier à la coutume avec envie. Si c'était la fête, alors, on nous faisait retourner la cueillère et nous avions le droit à une petite goutte de vin. On était fier et on se sentait grand ! Merci pour ce texte. Bravo l'ami !
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Jean Pierre 19
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Jean Pierre 19



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MessageSujet: Re: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitimeMar 29 Nov 2011 - 17:32

En fait, tu le penses bien, je n'ai rien inventé. Je ne suis contenté d'amorcer la pompe à souvenirs, d'écouter des ombres enfuies me parler à l'oreille et de laisser courir ma plume...
Oui, j'ai la faiblesse de penser que nos racines sont ancrées dans la terre riche de notre enfance et que ce n'est pas verser dans la nostalgie de bas étage que de déplorer qu'aujourd'hui, bien des traditions de ce temps-là soient perdues ou galvaudées...
Comme disait le grand-père forgeron dans les Noisettes Sauvages de Sabatier : notre blason à nous, mon garçon, est riche de bons quartiers d'authentique roture...
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Silhène
Maîtrise le sujet
Silhène



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MessageSujet: Re: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitimeMar 29 Nov 2011 - 18:08

Mes souvenirs ne remontent pas à la marmite sur le feu, mais je me souviens de mon grand père quand il mettait du vin au fond de l'assiette. Il disait lui, "faire la goudale".
Ma soeur et moi, qui étions gamines et pas du tout en âge de boire du vin, avions parfois le droit de goûter ce mystérieux mélange.

Mon grand père n'est plus là depuis longtemps, mais la soupe, la vraie, se perpétue. Aujourd'hui c'est citrouille et navets (du jardin bien sûr !) flower
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Nerwen
Modératrice
Nerwen



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MessageSujet: Re: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitimeJeu 1 Déc 2011 - 19:42

Merci Jean Pierre d'avoir fait revivre le souvenir des soupes d'autrefois. Mon grand'père, pur girondin, faisait aussi chabrot. Pour ma part, gamine, je n'étais pas très tentée par ce breuvage qui dénaturait les délicieuses soupes de ma grand-mère, ma préférée était le tourin à la tomate aux pâtes alphabet ! Par ici la bonne soupe... Gif_go10
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MessageSujet: Re: Par ici la bonne soupe...   Par ici la bonne soupe... I_icon_minitime

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