« Minuit chrétien c’est l’heure solennelle… » la chorale entonne le chant d’entrée en fête et ne se tient plus de joie . Moi de même.
C’est la première fois que j’ai l’âge d’être à l’église en pleine nuit, c’est magique, les étoiles dansent dans le ciel malgré le frimas.
J’ai chaud et froid à la fois.
Le prêtre entre en scène avec sa cour d’enfants de chœur. Il se dirige vers l’autel, tout habillé de blanc. Il est beau comme un dieu.
Je le connais ,c’est l’ami de mon papa, il vient souvent à la maison. C’est mon grand ami aussi à moi. Après la messe il viendra chez nous dans son long manteau noir à multiples boutons et je lui donnerai un baiser sur sa joue qui ne pique pas. Il passera alors sa main dans mes cheveux bouclés et je serai la plus heureuse de toutes les filles de ma classe, de toutes les filles du monde entier.
C’est moi qui l’ai invité rien que pour moi ! Enfin cela, on verra…
J’ai appris qu’ à Noël ,il faut partager. Je n’aime pas trop le partager surtout avec mes frères et sœurs qui eux aussi en veulent à son attention et à sa tendresse.
La chorale entame le gloria. Les carillons s’envoient en l’air.
-« les grosses cloches sonnent » me souffle le frère à l’oreille. « Répète la phrase plusieurs fois de plus en plus vite ».
Je m’exécute et je m’esclaffe… trop fort. Papa m’a vue et entendue...
Son œil et son doigt me rappellent à l’ordre du silence et de la bonne tenue qui doit régner pendant la messe … qui dure et dure encore…
C’est que j’ai soif .
Papa me dit qu’il va falloir attendre, qu’ici, on ne boit pas comme à la maison, directement au robinet ou dans un verre pendant un repas.
Cela m’étonne car je vois qu’il y a sur la table une belle coupe en or dans lequel mon père bis, ce héros, a versé une précieuse boisson qui ressemble au vin du dimanche midi.
Ce n’est pas pour les enfants qui n’ont droit qu’à de l’eau plate.
Le prêtre monte maintenant à l’étage supérieur, en chaire de vérité via un escalier en colimaçon. C’est lorsqu’il est apparu perché tout en haut, au balcon que le vertige m’a saisie tout entière pour lui. Et tandis qu’il se penchait en avant pour annoncer à grands gestes , la dernière bonne nouvelle du jour à savoir que c’était un garçon et qu’il s’appelait "Jésus" que moi, je suis tombée par terre , dans les pommes de mon Papa .
Quand j’ai repris ma conscience, j’étais douillettement enveloppée d’une couverture auprès d’un feu rempli de buches à réchauffer. J’entendais Jean Sébastien fuguer avec une petite cantate mais je ne savais pas que c’était lui. Je l’ai appris quand je suis devenue grande, longtemps après.
Mais là, maintenant j’ai 5 ans, il est plus de minuit, c’est Noël, les anges sont dans les campagnes et j’attends l’ami de mon papa …
J’ai toujours 5 ans quand je pense à Noël.