J’ai découvert le passage totalement par hasard un soir de lune noire.
Sans savoir comment, j’ai basculé vers un ailleurs en une fraction de seconde, pour me retrouver dans un paysage à la fois naturel et plein d’étrangeté.
Mon point de chute m’a menée sur une route de campagne, qui serpentait gentiment jusqu’à un petit village baigné de soleil.
Par endroits, de curieux carrés de dallage coloré parsemaient la chaussée, disposés au petit bonheur la chance.
Une personne sur le chemin près de moi a sauté sur un de ces carrés, et tout d’un coup a disparu, s’est évaporée.
J’étais abasourdie, d’autant plus qu’à part moi, personne alentour ne semblait surpris ou effrayé.
Après plusieurs de ces étranges disparitions, ma curiosité a pris le dessus, et j’ai interrogé un des passants sur la route.
Sa réponse, sibylline, m’a appris que les sauteurs voyageaient dans leur vie.
Pas un mot de plus, rien. En guise d’explications, je me trouvais face à encore plus de questions.
Malgré une vague appréhension, l’envie de tenter l’expérience me taraudait.
J’ai commencé par tâter du bout de ma chaussure la dalle de pierre, comme si je m’attendais à un cataclysme. Comme rien de fâcheux ne se produisait, après une grande inspiration, j’ai bondi sur le carré de pierre.
Lumière tamisée, musique douce, je me suis retrouvée à une table de restaurant face à un homme que je ne connaissais pas. L’ambiance semblait très romantique.
J’allais lui susurrer des mots doux, quand soudain, sans crier gare, changement de décor !
Impossible désormais de prononcer des mots d’amour.
J’étais redevenue petite fille, perdue au milieu d’un circuit mécanique géant. Des rails m’encerclaient de tous les côtés, je ne savais plus où me diriger.
Je voulais m’échapper de cet endroit angoissant et menaçant, la panique commençait à me gagner.
Encore une fois, tout s’est évanoui brutalement et je suis revenue avec soulagement sur la route de campagne, à l’entrée du village.
Mon passant informateur peu bavard me regardait, l’air amusé et ironique, comme s’il attendait mon retour. Silencieux, il m’a indiqué l’entrée d’une maison du village et tendu un bout de papier chiffonné.
Sans même le lire, j’ai poussé la porte.... et quitté ce monde singulier.
Je n’ai pas rêvé, je le sais. Sur le papier froissé, que j’ai ramené, l’inconnu avait noté d’une belle écriture fluide : « tu n’es pas encore prête.... »