pati Modératrice
| Sujet: La bougie de Noël Jeu 23 Déc 2010 - 12:53 | |
| Ce matin-là, je m’étais levée pleine de résolution. J’avais des tas de choses à faire, de préparatifs à gérer, à superviser… pendant ces prochaines vingt-quatre heures, j’allais être une femme très occupée. Heureusement, il faisait beau. Le ciel était d’un bleu insolant, l’air était si doux qu’on aurait pu se croire au printemps. Je partis au marché d’un pas vif et serein. Aujourd’hui était un jour important : nous allions réveillonner.
Plusieurs semaines avant, j’avais pris soin de récupérer la commande passée au volailler : deux canards gras qui allaient constituer notre repas, ainsi que ceux des jours suivant Noël. Une tradition familiale, qui voulait qu’on tue un canard et qu’on le mange jusqu’à la dernière miette, à l’occasion des fêtes… alors, mamé et moi nous étions attelées à la tâche : découpage des magrets et autres confits, dénervage des foies et macération de ces derniers dans un mélange d’alcool et d’épices tenu jalousement secret, et enfin levage des aiguillettes et réduction en rillettes délicieuses, recouvertes de la graisse récupérée à la cuisson des foies gras… J’avais été chargée de badigeonner les magrets de sel et de piment d’Espelette, avant de les entreposer bien alignés dans du Madiran, pour qu’ils se gorgent de senteurs et d’arômes. J’avais aussi préparé les confits, blottis au fond d’une jarre en grès et couverts de sel et de graisse de canard. Mamé, d’une main experte, avait dénervé les deux énormes foies en moins d’un quart d’heure (jamais de ma vie je ne réussirai à égaler sa rapidité) et à la fin de la journée, tout était fini ; mêmes les carcasses avaient été concassées, pour obtenir de sublimes fond de sauces.
Aussi, ce matin-là, je n’avais qu’à m’inquiéter des douceurs, tout le reste étant déjà prêt. J’avais prévu une grosse corbeille de fruits. Je la voyais déjà, gorgée d’agrumes pleins de pulpe, de grenades à égrener patiemment, de litchis exotiques et de mangues juteuses. Rien à voir avec les pauvres oranges solitaires qui longtemps avaient été mes seuls cadeaux. La tourtière de la mamé viendrait clôturer le festin, comme tous les ans. De retour à la maison, je trouvai maman et le coiffeur en pleine discussion. Il était passé la faire belle et m’offrit de me coiffer à mon tour… histoire de faire durer sa pause amitié, dans sa journée de travail bien chargée. Je sortis ensuite le service basque qu’on n’utilisait que pour les grandes occasions, nettoyai les couverts en argent de la mère de mon père… les préparatifs se déroulaient au mieux. Je me souviens que nous avons mangé en tête à tête, maman et moi. Mon père travaillait et ne devait rentrer que dans l’après-midi. Un gros bol de soupe et une tranche de jambon cru suffirent à nous combler, nous allions faire ripaille le soir, autant faire léger le midi !
L’après-midi fut consacré à la décoration de la table et du sapin. Peu à peu, la maison prenait un air de fête, amenant une touche de joie et de légèreté bienvenue. Puis, j’aidai maman à se préparer. Elle enfila la magnifique djellaba noire brodée d’or qu’elle avait ramenée du Maroc, je mis la mienne, un camaïeu de bruns dorés du plus bel effet. Quand mon père est rentré, deux princesses d’Orient l’attendaient au salon, le sourire aux lèvres.
La soirée fut comme nous l’avions souhaitée : douce, chaleureuse, et remplie de rires. Mamé essuya bien une larme ou deux, mais dans l’ensemble, tout le monde fit bonne figure. Maman avait allumé la bougie de Noël, que nous ne soufflions que le jour de mon anniversaire. Un peu après minuit, mes parents partirent se coucher, et je raccompagnai mamé chez elle. — Ça s’est plutôt bien passé, non ? dis-je d’un ton fatigué. — Oui petite, on peut dire ça. — Maman semblait contente de ses cadeaux. — Pfff… — Quoi ? — Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, ma fille ! Ta mère a pas été dupe une seconde ! — Je sais. — Ah bon ? — Oui. Ça n’a aucune importance. Elle est contente, c’est tout ce qui compte.
Oui, maman n’avait pas été dupe de notre petit stratagème. Mais elle avait tellement envie de rester avec nous jusqu’à mon anniversaire… et on la voyait s’affaiblir de jour en jour… alors nous avions décidé que cette année, Noël serait un peu en avance. Nous avions fait réveillon le sept décembre, et non le vingt-quatre. Le neuf, nous fêtâmes mon anniversaire très simplement. Et le onze, elle put partir, tranquille. Elle avait atteint son but : partager avec moi une dernière fois la célébration de ma naissance.
Et demain soir, comme tous les réveillons depuis vingt-sept ans, je sortirai le service basque, je nettoierai l’argenterie, je me ferai belle… J’allumerai une bougie samedi, pour Noël, une belle bougie ronde, aux senteurs de thé et de caramel, que je ne soufflerai que le vingt-six, à une heure du matin. Une façon pour moi de te faire participer à la fête. Une façon d’être à tes côtés, aussi.
Joyeux Noël, maman. | |
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madeleinedeproust Maîtrise le sujet
| Sujet: Re: La bougie de Noël Jeu 23 Déc 2010 - 15:33 | |
| Joli, tout doux, émouvant... | |
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Amanda Modératrice
| Sujet: Re: La bougie de Noël Jeu 23 Déc 2010 - 15:59 | |
| Magnifique ce texte qui fait écho à ton livre ! Au début on part dans la douceur des préparatifs... Tiens, moi, ignare en cuisine du terroir c'est quoi du Madiran et du piment d'Espelette ? Et puis, une belle description de la fête, des femmes si belles, toi et ta maman... Pour finir dans le drame inéluctable ! Je te le redis : quel courage il t'a fallu, Pati ! | |
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catsoniou Kalé'reporter
| Sujet: Re: La bougie de Noël Jeu 23 Déc 2010 - 18:54 | |
| Oui, magnifique et nostalgique ... | |
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pati Modératrice
| Sujet: Re: La bougie de Noël Jeu 23 Déc 2010 - 19:34 | |
| - Amanda a écrit:
- Tiens, moi, ignare en cuisine du terroir c'est quoi du Madiran et du piment d'Espelette
le Madiran est un vin rouge des Pyrénées (un de ceux que je préfère;)), et le piment d'Espelette; c'est un piment originaire de la ville d'Espelette, au Pays Basque. c'est un piment très parfumé, qui assaisonne toute la cuisine du sud-ouest. merci pour vos commentaires | |
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Silhène Maîtrise le sujet
| Sujet: Re: La bougie de Noël Jeu 23 Déc 2010 - 19:55 | |
| Ton texte m'a beaucoup touchée, bien qu'éloigné de ma propre histoire . Comme si tu avais trouvé ce que d'autres ne cessent de chercher : le bonheur dans l'instant présent, et l'amour par delà le temps. J'aimerais arriver à ce courage quand le moment sera venu... | |
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Admin Admin
| Sujet: Re: La bougie de Noël Ven 24 Déc 2010 - 10:26 | |
| Je connais, et pourtant, j em efait prendre à chaque fois... Ma maman à moi est morte un 13 décembre. Depuis, chaque Noël... Je t'embrasse Pati, et ta maman à travers toi | |
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MESANGE Kalé'reporter
| Sujet: Re: La bougie de Noël Ven 24 Déc 2010 - 12:07 | |
| Une pensée toute douce pour toi Pati et pour toi Cassy | |
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Plumentête Kalé'reporter
| Sujet: Re: La bougie de Noël Ven 24 Déc 2010 - 15:12 | |
| Superbe....j'admire ton courage. Moi, je n'y arrive pas et cette année encore moins que les autres années... Plus légèrement, cette année je boirais à ta santé puisque le vin du repas sera le Madiran | |
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Amanda Modératrice
| Sujet: Re: La bougie de Noël Dim 26 Déc 2010 - 12:42 | |
| Merci pour ces infos, Pati, ça doit être booon ! | |
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| Sujet: Re: La bougie de Noël | |
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