Sur moi, tout a été dit. Ou presque. Toutes les facettes de ma personnalité ont été passées au crible par des spécialistes plus ou moins autoproclamés. Ils se sont enthousiasmés de mes multiples talents, de romancier, de dramaturge, de philosophe, d’essayiste, de journaliste… Et voilà que, maintenant, ils songent sérieusement à me faire entrer… au Panthéon !
J’entends d’ici une voix vibrante : « Entre ici… Albert Camus ! » Cela ne vous rappelle rien ? Que le Dieu en qui je ne crois pas, me préserve d’une telle ineptie !
Mais je crois avoir trouvé le moyen de faire passer à la trappe cette idée incongrue. Un moyen imparable qui, en dévoilant un de mes travers, ou devrais-je dire un de mes amours, rebutera mes très sérieux exégètes …
Voilà : j’adorais le foot ! Moi, l’intellectuel, j’étais fou de foot. Fou au point d’accorder des interviews dans les journaux spécialisés, fou au point de me transformer en commentateur le temps d’une rencontre entre le Racing Club de Paris et Monaco.
Pour aggraver mon cas je dois avouer que cette passion datait de mon enfance. Mon poste de prédilection était gardien de but. Je ne l’avais pas choisi à cause de compétences particulières mais à cause de l’extrême pauvreté de ma famille. En effet, le poste de gardien de but était celui où l’on usait le moins de chaussures. Je ne pouvais pas me payer le luxe de courir sur le terrain car, chaque soir, ma grand-mère inspectait mes semelles et me flanquait une raclée si elles étaient abîmées ! Plus tard, à l’âge de 17 ans j’ai gardé les buts de l'équipe de football de l'Université d’Alger, le Racing Universitaire Algérois. Dommage que la maladie vienne interrompre ma carrière, et m’oblige à raccrocher les crampons, car, si j’avais été footballeur professionnel plus question d’intégrer le Panthéon !
Plus tard, je suis devenu un habitué des stades….
Vous me demandez quel regard je porte sur le monde actuel et si je reste dans le domaine évoqué plus haut, je dois dire que je suis cruellement déçu par ce que le foot de haut niveau, domaine de l’argent roi, est devenu. Quand j’entends les hordes de supporters scander « enc…! » du haut des tribunes à l’adresse d’un adversaire, quand j’entends les cris de singe s’élever chaque fois qu’un joueur noir entre sur le terrain, quand je vois la violence se déchaîner pour un oui, pour un non, je me prends à regretter le foot d’avant et à espérer que ce sport, exercé en amateur, reste exempt de tous ces travers. Qu’il pourrait encore me donner l’occasion de déclarer « Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois. »
Voilà une déclaration qui devrait me permettre de couler doucement mon éternité dans le calme cimetière de Loumarin et c’est ce que je souhaite.