"Drinnnnnnnnnnnnnnnnnnggggggggggg"
Tirée brusquement de ma torpeur de fin d’après-midi, je me redresse dans le fauteuil et rattrape la canne qui a glissé à mes pieds. Je n’ai plus mes jambes de vingt ans et il me faut quelques minutes avant d’atteindre la porte d’entrée où mon visiteur inconnu s’impatiente :
"Drinnnnnnnnnnnnnnnnnnggggggggggg"
« Voilà, voilà, j’arrive ! »
Je n’attends personne et ma surprise est grande, en ouvrant la porte, de découvrir une jeune fille en robe fleurie qui me regarde avec un grand sourire. Je ne la connais pas et redoute que les services sociaux ne se soient aperçu de mon existence et n’aient envoyé une de ces charmantes personnes si pleines de bonnes intentions mais si envahissantes…. Je demande prudemment :
« Oui ? Mademoiselle ?
Ma surprise s’accentue quand elle fait un pas en avant, passe devant moi et entre en disant :
« Tu ne me reconnais pas ?"
Sans me laisser le temps de répondre, elle enchaîne : « Tu as l’air en pleine forme, je suis heureuse de te revoir après toutes ces années… »
Toutes ces années ? Elle semble avoir dix-huit ou vingt ans… L’aurais-je connue alors qu’elle était enfant ?
Je fouille dans ma mémoire, qui n’est plus je l’avoue, aussi bonne qu’autrefois et vraiment je ne vois pas…
Elle poursuit : « Tu permets que je m’assois ? Je viens de loin et il fait une de ces chaleurs ! »
Sans attendre ma réponse elle s’installe dans le fauteuil qui fait face au mien et je l’imite en continuant à me demander qui peut bien être cette visiteuse. A bien regarder son visage, il me semble entrevoir un air vaguement familier, ses cheveux blonds ondulent gracieusement en une coiffure intemporelle… Intemporelle aussi sa robe d’été d’une longueur très sage… trop sage sans doute au regard des critères de la mode que je regarde dans les magazines.
« Ah, je vois que tu as un nouveau chat ! »
Nouveau ? Le matou qui dort comme un bienheureux sur le sofa m’accompagne depuis des années, il jouit même d’une longévité remarquable pour un chat.
« Tu as toujours aimé les chats comme ta grand’mère, elle ne concevait pas une maison sans ce lutin familier… »
Ma grand-mère aimait les chats ? Comment le sait-elle ? Je cesse de m’étonner et je l’écoute égrainer des souvenirs que je croyais personnels…
Sa voix est douce et un rien hypnotique, j’ai les yeux qui papillotent et doucement je m’endors… La voix réveille des images que je croyais inaccessibles, enfouies depuis longtemps et à jamais dans ma mémoire défaillante…
Quand je me réveille, le fauteuil en face du mien est vide. Sur le tapis, une photo jaunie attire mon regard. Un portrait. Celui d’une jeune fille en robe fleurie qui me sourit…
Alors dans une fulgurance, je reconnais ma visiteuse: cette jeune fille c’était moi, l’été de mes vingt ans…