- vivement qu'il me pousse des ailes
- tu pousses un peu, pourquoi tu dis ça, t'es pas contente de ton sort?
- je sortirais plutôt d'ici, oui, quel ennui la décomposition
- c'est pas du ressort de tout le monde de faire des compositions; on ne peut pas tous être virtuose
- je prends note, je prends note! mais notre mère aurait pu pondre sa portée ailleurs que dans cet instrument minable; en tout cas comme larve de vrillette philosophe, on fait pas mieux que toi, mais moi, basta, dès que j'ai fini mon cycle, je me réincarne…au moins en lucane
- et moi en capricorne; la réincarnation, c'est ce qu'on appelle du recyclage d'âmes…
- dames ou échecs, je m'en damne le pion, j'ai envie d'une autre vie, c'est tout; avoues que toi aussi tu préfèrerais plutôt être pigeon ou chauve-souris, comme ces compagnons de l'abandon, depuis le temps qu'ils nous crottent dessus
- nous sommes tous le crotteux de quelqu'un
- ta facilité d'accepter ton sort me dégoute, mais eux au moins voient du pays, tandis que nous, condamné à ronger ce pied de piano jusqu'à ce que métamorphose s'en suive…
- ben, quand on peut pas avoir une métempsychose sur commande, il vaut mieux accepter son destin
- parce que tu penses que les vrillettes des pieds de devant, qui ont grillées dans le feu allumé par les derniers explorateurs urbains de passage, tu penses vraiment que c'était leur destinée? un vrai génocide, tu veux dire!
- oui, comme c'était notre destin de ne pas être vers de bibliothèque
- ça t'aurait plu les livres, t'en aurais dévoré jusqu'à plus faim, mais avoues qu'on a pas grand chose à déglutiner; du bois de piano c'est monotone, même pas du bois qu'on fait les flutes
- ah ça dépend comment tu bouffe… we are what we eat… nous sommes ce que nous mangeons… moi, je m'imprègne des ombres des symphonies, des relents de jazz, des soupçons d'improvisions emmagasinés dans le bois par ces pianistes disparus… un jour, dans une autre vie, je serais musicien et je régurgiterais tout ça
- je me disais bien… me voilà consignée à perpète à ronger mon frein à coté d'une vrillette philosophe et toi tu t'égares dans les consignes de kaléidoplumes… décidemment c'est pas une vie!