Une vie de chien.
J'ai quitté dans la tristesse ma portée.
Je suis arrivé dans une famille pauvre, néanmoins heureuse.
Il y a un bébé, qui commence tout juste à marcher.
Sans que ses parents me le demandent je le protège par instinct.
Enfant, nous jouons ensemble, lui il rit pendant que j’aboie, la vie est belle.
Adolescent, nous courons ici et là dans cette région de montagne si tranquille.
Nos divertissements dans la complicité amusent mes maîtres.
Il évolue en jeune adulte, moi je prends de l’âge.
Ses caresses sur mon poil m’apportent beaucoup de sérénité.
Cependant, sa vie, ce n’est pas ici qu’il peut la poursuivre.
Alors il part sous d’autres cieux moins paisibles.
Je sais qu’il reviendra ; serais-je encore en vie ?
Malgré nos âges presque semblables, il reste juvénile, moi je suis sénile.
Je désire tant le revoir, recevoir ses caresses, réentendre sa voix.
Il rentre plus vite que prévu, nous allons le chercher.
Cependant il ne bouge pas.
Je ne l’entends guère, je ne reçois plus ses caresses.
Il dort pour l’éternité.
J’entends le bruit du roulement de la charrette,
couvert par les grosses larmes de mes maîtres.
Je sais ce qu’ils ressentent et je suis incapable de les consoler.
C’est un drame, la vie est injuste.
Le cheval semble aussi porter le deuil, il ne galope pas comme d’habitude.
Bien que je sois vieux clébard, je me pose cette question:
quel fut le sens de son existence et pour qui s’est-il sacrifié à la guerre?
Dans tous les cas, pas pour nous défendre mais pour y amener le malheur.