Au delà du temps...

A toi, ma fille cadette,

Tu me vois bienheureux de te suivre pas à pas, menant ta vie à ta façon, traçant ton sillage comme tu l'entends, au risque d'être une éternelle incomprise. Tu as atteint un âge que je ne connaitrais jamais, enfin tout du moins sur la Terre.

Parce que tu prétends communiquer avec moi, transposant ensuite les déductions tirées de ces communications avec l'au-delà, tu t'es fâchée avec tes frères et sœurs qui sont aussi mes enfants. Je ne prendrai pas partie dans vos querelles motivées par le doute de la véracité des conversations secrètes que nous entretiendrions, toi et moi, et par tes croyances qui n'ont jamais été les miennes.

Cependant, je crois que je n'aurais pas aimé, de mon vivant, être confronté à ton attitude. J'ai souffert, la plus grande partie de ma vie, du mur de silence dressé entre ma sœur et moi. Pour des futiles questions d'argent consécutives au partage du maigre bien familial, nous nous sommes ignorés, et aujourd'hui, chacun de notre côté dans le royaume des ombres, nous ne pouvons que nourrir des regrets. Je sais que le silence dans lequel tu te drapes à l'égard de ta famille, enfin la fratrie que nous avons engendrée, ta mère et moi, n'a pas pour origine des basses questions d’intérêts financiers...

Chacun d'entre vous a suivi sa voie, non pas comme il l'a voulu, au gré des aléas, écueils, opportunités, mais aussi en fonction des capacités acquises au fil des ans, et des rencontres qui ont modelé la vie de chacun. Certes, il en est résulté une inégalité indéniable qui n'a pas, me semble-t-il généré de jalousies entre vous, puisque pendant les trente années qui ont suivi ma disparition et celle de la femme de ma vie, ta mère, vous avez continué à vous rencontrer pour faire la fête, vous contactant régulièrement, et ce qui me réjouit particulièrement, quand il le fallait, vous avez su vous entraider.

Et c'est la fin de vie de ton frère ainé qui a provoqué les premières fissures, puis l'année suivante, la douloureuse fin du troisième de mes fils a parachevé la mésentente. D'ailleurs, pour l'un et l'autre, tu n'as pas pris part au deuil commun des obsèques. Et chacun sait, hélas que ces cérémonies sont l'occasion pour les familles de se retrouver. Cette année encore, tu ne t'es pas manifestée lors de la disparition de ma première fille, l'ainée de la fratrie, tout comme tu as paru ignorer la fin quasi subite d'un de mes petits-fils, ton neveu, avec qui tu as pourtant longtemps entretenu des relations très suivies.

La vie est éphémère, ces quatre disparitions rapprochées n'en sont-elles pas le témoignage? Plus d'un siècle s'est écoulé depuis ma naissance *. C'est long, mais ce n'est qu'une poussière au regard de l'éternité. Cependant, la vie est une belle chose, pour ceux qui croient en l'au-delà, elle l'est tout autant pour les athées. Et s'il existe un au-delà, les âmes ont tout leur temps pour soliloquer sur les tenants et les aboutissants de leur passage sur terre, mais tu en conviendras, il est trop tard pour modifier ne fut-ce que d'un iota le cours des choses terrestres.

Alors, si je peux me permettre un conseil, et si tu m'entends, médite ce conseil : échanger avec ce qui reste de la fratrie ne t'oblige pas à renoncer à tes croyances, ton interprétation de la vie. Non, mais cela peut amener des bonheurs furtifs irremplaçables...

* Hasard ? Très précisément, ce jour du 6 mars serait mon anniversaire, 107 ans et ce serait aussi le 74ème anniversaire de mon troisième fils...

Texte très dense, Catsoniou où tu racontes les mésententes familiales , les actes manqués, les circonstances où on aurait pu se réconcilier...
Pas simple non plus une fratrie ( moi qui me plaint d'être fille unique !), tout le monde n'est pas toujours sur la même longueur d'ondes.
Tu sembles être fort marqué dans tes derniers écritq par la nostalgie du temps qui passe, nostalgie qui te vient des deuils que tu as connu.
De tout coeur, je souhaite qu'où qu'ils soient ces gens reposent en pais et se tiennent par la main en signe de pardon, de réconciliation.
Est-ce possible ? Là, est la question !
Merci pour ce beau texte !

Ce que tu écris est très dérangeant parce que , ce que tu écris , est, semble-t-il ce que tu redoutes une fois mort... C'est du moindscomme cela que je le ressens...
Mais tu n'es pas mort...
Et tant qu'il y a de la vie, c'est possible de faire bouger un peu les choses et les gens...
J'ai du mal à entrer dans ce texte ( par ailleurs très bien écrit) où c'est un mort qui écrit...

Contrairement à Charlotte, je vois ton texte comme une protection bienveillante... et sage du haut de tes 107 ans !!!

En fait c'est un texte post-mortem à donner de son vivant !!!

Et Bravo !

Un texte qui doit te tenir a coeur, plus brouillon, moins travaille que les autres.
Plusieurs répétitions, quelques phrases un peu longues. Un texte qui mériterait d'être retravaille.
Pour le contenu, je suis d'accord avec charlotte.

Charlotte écrit:

Citation :

Ce que tu écris est très dérangeant parce que , ce que tu écris , est, semble-t-il ce que tu redoutes une fois mort...

cassy écrit:

Citation :

Un texte qui doit te tenir a coeur, plus brouillon, moins travaille que les autres.

@ Charlotte: non, pas du tout, parce que je suis relativement imperméable à l'idée qu'au delà la disparition d'un être, il y ait de dialogue possible avec les vivants. Et si j'écris, c'est avec le mince espoir qu'il restera quelque chose de moi aux générations futures, tout comme avec les arbres que je plante dans mon parc (encore un pin parasol avant-hier!). Et si on m'oublie totalement, cela n'a guère d'importance: sur Terre, j'aurais fait, même si c'est peu, ce que je croyais devoir ou pouvoir faire!

@ cassy : au delà ce que tu peux imaginer, parce qu'à part l'impossibilité au père de s'exprimer, tout le reste est, hélas, on ne peut plus vrai... Et si la disparition, une année après l'autre des membres de la fratrie ou de leurs enfants est cruelle et ne peut que vous interroger sur votre propre fin, le silence de celle qui vous est le plus proche par l'âge est lourd à supporter... Dès lors, les fioritures autour du texte m'apparaissent superflues et je crois que Amanda et sol-eille l'ont lu ainsi.

Hasard réel, ce matin du 6 mars, j'ai bien eu une pensée pour le père et le frère disparus parce que c'est bien la date anniversaire de leur naissance.

Hasard encore: cette consigne relative à une lettre à sa fille (que je n'ai pas) est tombée à point pour générer ce texte (imparfait!) qui mêle réel et imaginaire...

Merci à elles et à vous toutes pour vos coms.

J'aime bien, et même je trouve rassurante, cette idée de l'aïeul qui continue à s'intéresser à nous par delà la mort.

J'ai envie que sa fille l'entende réellement, c'est une belle histoire

J'aime bien la façon dont tu as traité la consigne et ce texte si dense. Comme Silhène, je trouve rassurante cette idée de l'aïeul qui veille sur sa troupe...