Nostalgie de chat

Il était une fois un village sans histoire : du lever au coucher, on allait et venait.

Comme partout ailleurs, respectant la mode donnée il y a très longtemps, les uns travaillaient pendant que d'autres se promenaient. A leurs figures, on les devinait habités en permanence par la bonne humeur ou traversés par d'énigmatiques soucis récurrents. Il en était qui se répandaient en discours longs comme des jours sans pain alors que d'autres cultivaient le silence.

Et au fil des ans, comme dans un loto aux règles obscures, les uns y gagnaient des maladies qui les couchaient sur le flanc alors que d'autres affichaient une santé insolente. Parfois, un monsieur bien habillé visitait les mal portants. De sa sacoche de cuir, il n'émergeait pas de miracle : quelques jours plus tard, l'homme vêtu d'une longue robe noire, accompagné d'un ou deux petits portant chasuble immaculée et une croix à l'aspect lugubre, suivaient le même chemin. Puis, c'était la curieuse procession de gens à la mine de circonstance qui allaient « signer » le mort. Ensuite, sortait de la maison malchanceuse au loto, une boite en bois verni qu'on hissait dans une calèche noire. Et au pas cadencé, on se rendait à l'église pour une petite heure de chants entrecoupés de saintes paroles proférées par l'homme en noir qui, dans ces tristes épisodes avait voix au chapitre.

Venait ensuite pour nous un moment fort intéressant : des agapes obligatoires en ce triste jour, s'échappaient toujours quelques reliefs intéressants pour nous les chats du village. Nous les partagions en frères de misère sans élever la voix, les plus forts bénéficiant comme de bien entendu des meilleurs morceaux. Enfin, ceux qui avaient échappés à la gloutonnerie des cabots efflanqués qui selon une règle bien établie se battaient comme des chiens pour quelques os de poulet. Cette engeance là n'a jamais respecté la bienséance...

Quoiqu'il nous arrivait à nous les matous de sortir de nos gonds, mais c'était dans la perspective de la prolongation de notre noble race. Certaines nuits de février se déroulaient des combats homériques ponctués de feulements qui agaçaient prodigieusement les dormeurs au point de nous arroser parfois du contenu de leurs vases de nuit. Et la perpétuation de la race féline, à l'instar des humains, était réglée comme du papier à musique. La différence étant peut-être que l'attribution de la paternité des jeunes matous était plus aléatoire que chez les humains. Encore qu'à ma connaissance, de mémoire de chat, on n'a jamais eu recours post mortem à l'ADN pour connaître l'origine de tel ou tel minet !

Ainsi vivait-on dans ce village ordinaire, il y a quelques lunes, selon ce que m'a raconté ma mère qui tenait ce savoir de sa mère qui le tenait elle aussi de sa génitrice. Avons-nous gagné au progrès, je n'en suis pas certain. Mais voilà que je fais la fine bouche, moi dont la gamelle est toujours convenablement garnie de mes croquettes préférées... Moi qui est échappé de justesse à la piqure fatale du véto quand j'étais pensionnaire involontaire SPA. Grâce au coup de foudre de mon maitre actuel pour ma modeste personne, j'ai survécu à cette fin indigne : merci patron !

En conclusion, moi, cha va , et vous cha va pas mal non plus ?

Que nous voilà joliment contés les évènements de la vie à travers l'oeil aiguisé de ton chat.
En fait, les enterrements, les accouplements, ça va et ça vient ( oh la,la,la mais qu'est-ce que j'écris moi ) à travers les temps et rien ne change.
Quand même un joli geste de la part du "patron" qui lui a évité la mort !
Alors, cha va bien !

Les chats sont comme les hommes, il leur arrive de revenir sur les années enfuies, sur l'alternance immuable des joies et des peines et sur la douce jouissance qui a pour nom nostalgie !

Joli texte, qui nous fait voir quelques évènements humains du point de vue félin.

Ton texte s'intitule "nostalgie de chat" mais, je ne sais pas, je sens assez peu la nostalgie dans le développement qui concerne le village des ancêtres de ce chat...Et je trouve que la phrase "Avons-nous gagné au progrès, je n'en suis pas certain. " tombe un peu de manière inattendue, on a du mal à comprendre de quel progrès tu parles... Était-ce voulu ?

Ceci dit, j'aime beaucoup le paragraphe qui commence par "et au fil des ans", jolie description des enterrements d'autrefois...on s'y croirait !

Le com de Sel m'amène à compléter mon sujet. Le thème de celui-ci découle d'une visite hier à mon ami Justin (87 ans) qui, évoquant l'évolution de la santé dans les campagnes nous a conté comment l'absence de Sécurité Sociale et mutuelle contraignaient les familles de paysans à requérir le médecin quand il était trop tard... Son passage précédait celui du curé et l'extrême - onction, les visites au mort, le corbillard, la cérémonie religieuse. . Tout cela, je l'ai vécu dans les années cinquante...

Alors pourquoi nostalgie pour un chat ? Parce qu'à cette, époque, à la campagne, les chats vivaient leur vie en toute liberté si je puis dire et ils pourraient formuler des regrets...

En revanche, et cela je m'en souviens aussi très bien, du point de vue nourriture, les chats , et bien souvent les chiens, devaient se débrouiller, d'où le terme "efflanqués", tant la pitance pouvait se faire rare.

Alors, incontestablement, les chats d'aujourd'hui, chouchoutés avec des croquettes, conduits au véto pour un bobo, pourraient qualifier ce changement de progrès... tout en faisant la fine bouche, singeant ainsi les humains !

Développer mon sujet eut nécessité une longueur de texte susceptible de lasser le lecteur... Donc, merci Sel de me donner l'occasion de me replonger dans le passé avec mon ami le chat ...

Tes précisions sont utiles, d'autant que je me souviens en effet des chiens et chats du village de ma grand-mère, qui appartenaient à tous et personne à la fois.
On ne les aurait pas vu squatter les lits et les fauteuils, pourtant ils faisaient parties du paysage. Le chien avait souvent la même soupe que les maîtres et le chat chassait et piquait parfois dans la gamelle du chien.
Rien à voir avec leur vie d'aujourd'hui, mais la notre n'a plus rien à voir avec la vie de nos grands-parents...

Merci pour tes précisions, qui permettent, effectivement, de mieux comprendre et apprécier ton texte. En particulier, le coté "faire la fine bouche" face au progrès alors que quand meme, il nous a bien facilité la vie, et, par ricochet, celle de nos compagnons à 4 pattes.

texte très complet et merci pour le complément si bien vu

Voilà encore un texte bien écrit, très interessant et pertinent.

Tu as raison de préciser que "du point de vue nourriture, les chats , et bien souvent les chiens, devaient se débrouiller." Ma grand-mère avait sept chats dans la banlieu bordelaise alors encore la campagne, et je me rappelle que les chats adoraient les occasions où, en guise de repas, ils recevaient du pain trempé dans l'eau de cuisson des moules. Si je m'avisais à servir ce plat à mon chat actuel, je suis sûre qu'il ne me le pardonnerait pas !
J'aime bien ton récit des anciennes coutumes à travers le regard de ces témoins discrets que sont les chats.

Ton conte pour les grands racontés par un matou philosophe et instruit est un bonheur à lire.
Cha fait réfléchir, c'est sûr !

j'ai horreur de ça entendre les chats se battre la nuit...
brrr...