Aussi loin qu’il remonte dans sa courte vie, José n’a jamais eu de chance. La scoumoune, la sorcière aux dents vertes, la poisse, tous les mots de son vocabulaire lui paraissent bien faibles devant l’ampleur de cette déveine.
Abandonné tout petit par sa mère, une pauvre fille incapable de faire face à ses responsabilités, balloté de foyer en foyer, fugueur à répétition… Puis un doigt dans l’engrenage de la petite délinquance, rien de bien grave, menus larcins, vols à la tire, courts séjours en prison… et puis un jour on tombe sur la mauvaise personne et rien ne peut plus arrêter l’escalade… ou la dégringolade, c’est selon le point de vue.
Quand José a rencontré Pablo, un truand de la pire espèce, il purgeait une peine de deux ans de prison et, à force d’intimidation et de brimades, Pablo en a fait sa chose. Il valait mieux être de son côté si l’on voulait survivre dans un enfer où même certains matons étaient à la solde du caïd. Et les autres me direz-vous ? Ils étaient aveugles et soucieux de leur tranquillité, rien à espérer de ce côté-là.
Pablo avait pris quinze ans, mais conservait des informateurs et de l’influence à l’extérieur de la prison ainsi qu’un avocat généreusement rémunéré qui comptait bien faire jouer tous les recours de la machine judiciaire.
Quand la libération de José a pointé son nez, Pablo lui a demandé « un service » en échange de la protection dont il avait joui pendant son séjour.
« Une fois dehors lui a-t-il dit, tu vas aller me buter ce salopard de Chinois ! » José savait que c’était à cause du Chinois (en vérité il était Birman, mais avec toutes ces faces de citron c’est du pareil au même, avait coutume de dire Pablo) que Pablo avait plongé : une histoire de faux vases Ming qui était arrivée, « par hasard », aux oreilles des Douanes, une gâchette un peu nerveuse et un douanier sur le carreau ! Grace à son avocat, un type brillant celui-là, Pablo avait échappé à la perpète, mais, depuis lors, un désir de vengeance le hantait et José lui semblait tout désigné pour faire le travail.
Du fond de sa cellule, il avait tout programmé : en échange d’une « totale protection » et d’une place de chauffeur grassement payé à sa sortie, José devait se rendre chez le Chinois, lui coller une balle entre les deux yeux et s’enfuir par les toits où il serait pris en charge par le reste de la bande. « C’est sans risque, avait dit Pablo, il ne te connaît pas et tu bénéficieras de l’effet de surprise. »
Pour une surprise, ce fut une surprise ! Une fois le travail proprement accompli : une seule balle entre les deux yeux, et le Chinois raide mort sur son tapis persan, c’étaient les flics qui attendaient José sur le toit. Flagrant délit, procès et… le maximum !
Il est six heures du matin et, dans le fourgon qui l’emmène, José somnole…
Six heures du matin, deux motards et une voiture de police encadrent un fourgon.
Pas de sirène, le ciel est sombre, lugubre.
A l'intérieur, quatre flics et José. Dans une heure ou deux, il va mourir.
Il n'attend aucune grâce. L’image de la guillotine se profile devant ses yeux… Non ! Pas ça ! La peine de mort n’existe plus ! Pitié !
Et soudain, des crissements de pneus, un choc ! Des voix : « Quel connard celui-là ! Il a de la chance que nous soyons en service commandé, note son numéro, on verra plus tard ! »
José a été tiré de son cauchemar par un chauffard qui vient de faire une manœuvre contestable, et contestée, devant le fourgon qui l’emporte vers Fleury…
Fleury ! Quel joli nom ! Merci mon Dieu ! La chance a tourné ! Même avec ses vingt ans (Pas question de circonstances atténuantes, « Messieurs les Jurés, cet homme est un récidiviste, un meurtrier de la pire espèce… »), c’est aux yeux de José une délivrance, la fin d’un cauchemar qui avait nom Pablo…
Lequel Pablo croupit toujours aux Baumettes à Marseille, d’où son brillant avocat n’est pas prêt de le tirer, car José l’a balancé comme étant l’instigateur du meurtre du Chinois et avec ses antécédents et malgré le manque de preuves, le doute ne va surement pas lui profiter !