Suzy Wang travaillait officiellement comme pédicure à l’Hôtel du Vieux Montréal.
Quand la jolie petite Chinoise lui proposa ses services, c’est-à-dire lui couper les ongles des pieds, Forrest Wood fit une découverte foudroyante, lui qui se servait auparavant de son couteau à cran d’arrêt-multi-usages à cet effet.
Suzy Wang, prosternée à ses pieds, les enduisant, les massant doucement…
Suzy Wang s’emparant à présent de ses grosses mains de bûcheron, les manucurant…
Suzy Wang, ses longs cheveux noirs, ses yeux de biche en amande, se mains si douces qui s’aventuraient plus loin sur son grand corps et caressaient ses cheveux roux…
Forrest fut séduit, conquis, tomba éperdument amoureux de Suzy, se redressa sur ses pieds débarrassés de leur callosité, se racla la gorge et pour finir demanda d’une voix chevrotante « Voulez-vous m’épouser ? »
Suzy qui n’en espérait pas tant, sauta sur l’occasion de sa vie.
Elle accepta à une condition : emmener avec eux sa chère maman à la santé chancelante, qu’elle ne pouvait abandonner dans son deux-pièces ( pourri, mais cela elle n’en pipa mot ! ) de Chinatown.
Forrest fou de bonheur dit « Oui » à tout.
Il acheta la plus grande des Mille- Iles et y fit construire un immense château et des jardins somptueux. Il dépensa une petite fortune ( il en avait les moyens !) pour acheminer matériaux et ouvriers de Rockport à son île.
Rockport était à présent un joli port de plaisance où s’arrimaient les bateaux qui reliaient les îles aux territoires américain et canadien.
Une fois l’œuvre terminée et Suzy épousée, il la débarqua sur l’île en compagnie de sa mère.
Sa mère…
Sa belle-mère…
Jusqu’ici, Forrest ne l’avait pas trop regardée, tout ébloui par sa ravissante épouse.
La mère était moins… enfin disons, même pas du tout…comme sa fille.
Laide ? Carrément ! Un sac d’os avec une face de guenon.
Malade ? Cela ne se voyait pas !
Autoritaire, bavarde, se mêlant de tout et de rien…
Forrest Wood qui ne comprenait pas un mot de Chinois, frôlait l’apoplexie à écouter les deux femmes jacasser entre elles à longueur de journée !
Comment s’en débarrasser ?
Forrest Wood était un homme d’honneur, il tiendrait la promesse faite à son épouse.
Mais il n’allait certainement pas laisser une vieille Chinoise rabougrie lui gâcher son existence !
C’est ainsi qu’il acheta la plus petites des Mille-Iles et y fit construire la plus petite maison que l’on appelle encore aujourd’hui « La Maison de la Belle-Mère »
Il proposa à sa belle-mère une promenade en bateau, la déposa sur son île et ne la revit jamais.
Il veilla cependant à sa subsistance jusqu’à sa mort.
Suzy Wang ne lui en tint pas rigueur et pour combler le vide laisser par sa mère, se mit à cuisiner pour le plaisir. C’est donc à elle que nous devons la célèbre sauce aigre-douce baptisée de son nom, ainsi que les produits dérivés que ses héritiers ne manquèrent pas de faire fructifier.
Quant à Forrest Wood, ne voulant pas rester en reste, il est l’inventeur de la célèbre sauce « Thousand Islands » très connue sur le Continent Américain , proche de ce que nous connaissons en Europe sous le nom de « sauce cocktail », mélange rose de mayonnaise au whisky.
Si d’aventure, comme moi, vous passez à Rockport, ne manquez pas la croisière de 2h « Thousand Islands » et vous pourrez admirer et le château et la maison de la belle-mère !
Et n’oubliez pas de déguster les deux sauces, vous m’en direz des nouvelles, foi d’Amanda !
[img][/img]