Deux hommes se promènent au bord du lac…
« Dites-moi, qui est le propriétaire de cette maison, là-bas sur le lac ? Un original sans doute ?
—La maison appartient à une vieille famille de la région qui possédait une fabrique comme on disait alors. En fait une usine de traitement des peaux.
—Elle est habitée ? Ses habitants doivent être des as de la navigation, je me suis laissé dire que les courants de fond sont traîtres dans cette partie du lac…
—Elle est abandonnée depuis des années.
—Sans doute à cause de son isolement et des difficultés d’accès ?
—Plutôt à cause du drame dont elle a été le théâtre.
—Un drame ? Vous piquez ma curiosité ! Racontez !
—Dans les années 1900, Charles Dorville, le propriétaire avait épousé Eloïsa, la fille d’un riche armateur, mais Eloïsa souffrait d’une maladie de langueur comme on disait alors, de neurasthénie si vous préférez. Au fil des années, son comportement est devenu incompatible avec la vie dans la bonne société, mais son mari était fou amoureux d’elle et il refusa de la faire interner dans un établissement spécialisé où elle aurait, peut-être, pu recevoir les soins appropriés à son état. Il fit construire cette maison, isolée au milieu du lac sur cette île minuscule et se consacra entièrement à son épouse. Il ne s’absentait que rarement, uniquement pour ses affaires, utilisant pour quitter la maison, l’unique embarcation qu’il tolérait sur l’île. Comment vivait le couple ? Seule, Ariane, la gouvernante qui avait accepté de suivre sa maîtresse, a donné, après le drame, quelques indications. Charles passait ses journées à tenir compagnie à sa femme dont la seule occupation réussissant à la tirer de sa dépression profonde était la culture des roses, uniquement des George Dickson, ces roses rouge cramoisi à la peau veloutée, qui se fanent avec élégance en distillant un puissant parfum… Les rosiers prospéraient autour de la maison et quand le vent était favorable l’odeur des roses parvenait jusqu’ici…
—Et ?
—Un jour, on a retrouvé le corps d’Eloïsa flottant sur le lac, elle avait mis fin à ses jours en se jetant dans ses eaux froides. Longtemps inconsolable, Charles fini par fermer la maison et quitta le pays. Il est mort à l’étranger à la fin des années cinquante. Personne n’a jamais remis les pieds dans la maison à part un lointain héritier qui est venu la visiter. Il a payé pour qu’elle soit plus ou moins entretenue mais il n’a plus donné signe de vie depuis des dizaines d’années et, peu à peu, "la maison dans l’île" est devenue une curiosité inaccessible pour les touristes et la municipalité qui a tenté de la vendre, n’a pas trouvé d’acquéreur… »
Quelques jours plus tard…
« Dites-moi, la maison sur l’île est de nouveau occupée ?
—Pas que je sache ! Où êtes vous allé pêcher cette nouvelle ?
—Et bien, il y a quelques nuits de cela, comme je ne pouvais pas dormir, je me promenais au bord du lac et j’ai vu une lueur à la fenêtre du haut.
—Sans doute un reflet de la lune sur les carreaux ?
—Non, non, on aurait dit que quelqu’un se déplaçait dans la pièce, avec une lampe électrique ou une bougie… Et cela s’est encore reproduit la nuit dernière et il n’y avait pas de lune…
—Je le savais ! Je l’avais bien dit : des squatters finiront par venir s’y installer. Un endroit aussi tranquille doit attirer pas mal de personnages plus ou moins recommandables.
—Mais je n’ai vu aucun bateau…
—Si vous ne voulez pas être vu il y a des moyens pour le cacher, sans doute derrière la maison… Je vais aller jeter un coup d’œil, après tout je suis responsable du respect de la loi ici. Ça vous dit de venir avec moi ?
—Volontiers… »
Quelques vigoureux coups de rames plus tard…
« Attention, le ponton est vraiment délabré, n’allez pas tomber à l’eau ! Oh ! Oh ! Il y a quelqu’un par ici ? Si ce sont des squatters ils ne vont sûrement pas se montrer.
—Regardez, le jardin est redevenu sauvage : étouffés les rosiers d’Eloïsa ! Il n’y a plus que des ronces…
—C’est normal, depuis le temps ! Entrons, Maître Jonas m’a confié la clé… Quelle poussière ! Et quelle odeur de renfermé ! Personne n’a pénétré ici depuis des lustres. Dans le cas contraire, il y aurait des traces de pas. Vous avez dû rêver ou alors vous avez été trompé par un reflet avec cette eau tout autour… Allons voir en haut, mais je pense que nous ne trouverons rien. »
Les deux hommes gravissent les marches et poussent doucement la première porte qui s’ouvre avec un soupir…C’était la chambre d’Aloïsa. Balayant du regard la pièce plongée dans une demie obscurité ouatée, ils s’approchent du lit : là, sur la courtepointe fanée, une tâche écarlate… Du sang ? Non ! Une éclatante George Dickson qui porte encore les perles de la rosée nocturne...
Sujet: La maison sur le lac 
Sam 16 Oct 2010 - 20:16
Nerwen. 
