Janvier 2045.
L'écran s'illumine soudain. Deux hommes en longs pardessus gris discutent devant une étendue d'eau occupée en son centre par une maisonnette en bois.
- C'est une plaisanterie?!
- Non, mon cher, absolument pas!
- Vous voulez dire, cher ami, que notre colloque sur le renku a lieu là-bas, au milieu du lac, dans cette minuscule maisonnette?
- Exactement très cher, vous avez tout compris!
- Vous voulez dire que je vais devoir passer dix jours enfermés avec de parfaits inconnus sur une maison perdue au milieu d'un lac, avec pour seul et unique moyen de transport une vieille barque?
- Oui, mon cher, c'est tout à fait ça.
- Et je présume que cette bicoque qui ne m'a pas l'air de première jeunesse n'a même pas un accès internet, fût-ce un antique bas débit.
- Vous présumez fort bien mon cher.
Un lourd silence tombe entre les deux hommes.
- Et je suppose qu'à part vous aucun des participants de ce colloque ne parle ma langue?
- Vous supposez bien très cher.
- Bordel de merde!
- Maîtrisez vous un minimum mon cher... Le dirigeant de ce colloque n'acceptera jamais un tel manque de maîtrise de soi, ce n'est pas du tout dans l'esprit...
- L'esprit? Quel esprit? Vous pouvez me le dire? Je vous rappelle que j'ai accepté de me rendre à ce colloque uniquement pour vous faire plaisir et parce que vous m'avez présenté ça comme une expérience littéraire enrichissante. Jamais vous n'avez précisé qu'en prime il allait s'agir d'un stage linguistique intensif et d'une retraite méditative au milieu de nulle part....
- Calmez-vous très cher. Ce lieu est parfait pour l'écriture d'un renku. Son ambiance est propice à la création littéraire et à la réflexion sur l'acte d'écrire.
- Qu'est-ce que j'en sais moi? Je ne sais même pas exactement ce que c'est un renku, je ne parle pas un mot de japonais, et la dernière fois que j'ai parlé anglais c'était pour l'oral du bac! Et je déteste les sushis!
L'homme énervé shoote violemment dans un caillou qui a eu le malheur de se trouver sur son chemin au mauvais moment.
Un rideau grenat tombe sur la scène. Une jeune femme s'avance sur l'avant-scène en bois et prend un micro posé sur une table basse.
« Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention. La conversation à laquelle vous venez d'assister a eu lieu voilà cinquante ans entre le propriétaire de la villa du lac et son meilleur ami, lors du premier colloque. La construction de la villa venait alors tout juste de se terminer. Elle avait suscité la stupéfaction des habitants du coin qui ne comprenaient pas pourquoi il fallait absolument que cette maison soit aussi inaccessible.
Bien des années plus tard, à la mort du propriétaire, le mystère fut levé.
Tous les ans cet homme éminemment cultivé réunissait quelques personnes pour un colloque d'une dizaine de jours dans sa villa. C'était les seuls moments de l'année où la demeure était habitée.
A la mort du propriétaire, son héritier, un vague neveu, a ouvert la maison et y a découvert ce qui motive votre venue ici-même.
Sur tous les murs de la maison vous allez découvrir de superbes poèmes japonais écrits lors de ces mystérieux colloques. Nous vous demandons d'en prendre le plus grand soin, de ne pas les abîmer et de vous imprégner au maximum de la sérénité que ces textes dégagent.
Allons-y, Mesdames et Messieurs, la visite commence par une petite promenade en barque... »