La petite fille avait peur

Dans ce pays à nul autre pareil, la petite fille se sentait bien au chaud, un nid douillet rien que pour elle et le Petit Prince. Ici pas de renard ou de rose, pas de désert non plus ni d’allumeur de réverbères. Aussi la petite fille ne connaissait ni les serpents ni les morsures.
Elle vivait dans un nuage d’ouate et de lumière et elle était bien ainsi. Elle se laissait aller à la lisière des bulles de savon, s’arrêtait toujours avant que le vent ne les porte trop loin, là où elle pourrait s’éclater contre la vitre du salon, se percer contre les épines des roses.
Elle flottait dans ses nuages télécommandés qui jamais ne se laissaient emporter dans les tourbillons du monde et n’explosaient en tornade ou typhon, ici le climat était tempéré et la petite fille se laissait porter dans cette douceur légèrement anesthésiante.

Oui mais son petit prince avait soif d’aventure et voulait lui prouver à quel point il était fort et courageux, c’est bien connu les petits princes sont toujours forts et courageux quand ils emmènent les princesses sur leur cheval blanc.
La petite fille avait beau expliquer à son petit prince qu’elle était bien ici, dans son cocon douillet et ne voulait rien d’autre que le préserver, tout au plus l’agrandir un peu pour y accueillir une mini princesse et un mini prince et encore pas maintenant, pas tout de suite, le Petit Prince ne pouvait plus l’entendre.
Il s’ennuyait et lui parlait de pays à découvrir, de méchants seigneurs à combattre, d’idéaux à défendre, de combats à mener, de planètes à sauver, d’épreuves à surmonter pour grandir et dépasser sa peur, de gloire pour être un homme un vrai, de son besoin d’espace et liberté, de la soif qu’il avait de parcourir le monde et de se mesurer aux autres Petits Princes des domaines voisins.
Il disait qu’il reviendrait plus fort et plus fier que jamais, qu’il saurait la protéger de ses tourments et de la méchanceté des autres, il disait qu’elle serait encore plus fière de lui après ça, qu’il se battrait comme un fou pour qu’elle ait la plus belle des robes de lumière, couleur de lune et couleur d’aube pâle, que lui reviendrait riche de tous les trésors des royaumes voisins et qu’ils pourraient alors construire un nouveau cocon pour les futurs mini prince et mini princesse.

Le Petit Prince disait tout cela et bien plus encore et la petite fille avait de plus en plus peur, elle était de plus en plus triste de voir son Petit Prince perdre la petite flamme au fond de ses yeux à force de regarder le soleil tourner autour de sa planète.
Oui mais la petite fille avait peur de quitter son nuage douillet, avait peur de voir éclater les bulles de savon et de ne jamais revoir son cocon douillet, elle avait peur que son Petit Prince se blesse et ne puisse jamais gagner les trésors dont il rêvait pour elle et leurs futurs minis. Elle ne savait plus comment faire pour dépasser sa peur et accompagner son héros de Petit Prince.

Alors elle se mit à pleurer durant la nuit pendant que le Petit Prince dormait en grognant, dormait en faisant ces affreux cauchemars plein de grilles qui l’étouffaient, plein de combats qu’il ne menait pas. Elle pleura tant qu’elle fit gonfler la rivière qui coulait au bout de leur nuage, que cette rivière déborda et l’emporta sur ses flots.
Elle eut très peur, elle qui n’était jamais sorti de son nuage et n’avait vu le monde qu’à travers des bulles de savon qui ne se laissaient jamais percer. Pendant que la rivière l’emportait, elle entendit des bruits, des drôles de bruits…elle rouvrit ses yeux (elle les avait fermés tellement elle avait peur) et elle aperçut des petits morceaux blancs qui flottaient à la surface de l’eau. Ces petits morceaux venaient tous vers elle et se tenaient par la main. Elle se frotta les yeux très forts, elle se frotta aussi les oreilles et se dit que ce voyage improvisé sur cette rivière débordante lui avait tourné les sens et qu’elle perdait la raison. Depuis quand des petits morceaux de « elle ne savait quoi » avaient des mains et se mettaient à parler ?
Les petits morceaux continuaient pourtant à se donner la main et elle les entendait qui chuchotaient en s’approchant d’elle. Un petit morceau un peu plus grand que les autres se détacha et fit un pas vers elle. Elle voulut reculer effrayée mais il lui sourit et se mit à parler :
« Nous sommes les mots des amis de la terre, nous sommes les mots des amis de la vie, nous les mots qui aidons, qui racontons, qui rassurons, qui consolons et qui faisons rêver. Nous sommes venus à toi parce que tu as besoin de nous, nous sommes venus avec nos bateaux, nos bateaux et nos avions et nous allons t’aider à construire une échelle et un passage souterrain pour que tu puisses toujours revenir chez toi sans avoir peur d’aller voir le monde avec ton Petit Prince »

La petite fille se frotta encore les yeux et les oreilles, les petits morceaux étaient toujours là et lui souriaient, alors elle se pencha vers eux, tendit la main et ils s’y blottirent. Elle tenait là son premier cahier d’histoires…