Le son de la liberté

Kalé'reporter

L’humidité sombre et le froid de tes mots à demi-morts qui s’insinuent en moi comme un sourd poison. Jetée dans le cachot de ta folie, le labyrinthe de ta jalousie mortelle, de ta possessivité maladive, combien de temps ai-je croupi dans cette prison invisible, combien de marches ai-je monté et descendu avant de m’asseoir contre le mur défraichi de nos amours mortes, de notre histoire tortueuse ? Le froid était partout, il faisait craquer mes os que je cachais sous des couches de graisse de plus en plus épaisses qui jamais ne me réchauffaient. Point de lumière qui égaie mes jours confondus dans une nuit opaque.

Une seule petite lueur pour me forcer à garder les yeux ouverts un seul sourire, celui d’une enfant.

Je ne parlais pas, je ne riais pas, je ne vivais pas, je sur-jouais la mauvaise farce d’une vie volée. Anesthésiée par quelque chose qui m’avait dépassée et jetée sans force sur le bord de la route d’où tu t’étais absenté croyant nous laisser survivre.

La porte du cachot s’ouvrait régulièrement pour me laisser assumer le quotidien dans le même brouillard et le même froid. Pas d’émotions fortes, pas de sentiments intenses, juste l’équipement minimal pour une vie sociale et professionnelle basique. Oui C’est ainsi, on prend congé de soi même avant les autres, pour atténuer le coup fatal et moi j’avais pris congé de ma vie poursuivant une route poussiéreuse la journée pour retourner la nuit dans le cachot froid et humide où je m’étais laissée enfermer.

Petit à petit les saisons ont passé, le soleil a cogné fort cette année là contre les murs de la forteresse et a réchauffé les murs de ma cellule. Quelqu’un a éclaté d’un rire si léger qu’il a pu grimper jusqu’à ma prison. C’était si inattendu cet éclat de rire, ces notes légères dans cette pesanteur que j’en suis d’abord restée interdite. Un deuxième éclat a tinté à mes oreilles, s’est infiltré dans mon cerveau et un sourire timide a étiré mes lèvres pendant que ma mémoire recherchait des souvenirs d’éclats de rires, de fous rires même. Des mots légers, des phrases simples les ont rejoint et ont tissé un fil d’Ariane. Alors sans hésitation j’ai attrapé ce fil et je me suis hissée dans cet escalier diabolique qui n’en finissait pas. J’ai eu peur de tomber, j’ai eu peur de glisser, j’ai eu peur de ne jamais arriver au soleil mais le son cristallin de cette musique m’appelait sans relâche. J’ai continué à descendre les marches, je me suis accrochée aux « sept éclats de glace de ton rire étoilé » et j’ai accepté de descendre les marches de la liberté plutôt que de grimper celle de ma citadelle.

Il fait soleil aujourd’hui et je marche d’un pas léger et confiant sur le chemin de ma vie. Je ne me laisserais plus enfermer dans le cachot d’un amour prison, j’ouvre les portes de mon cœur à un amour libre et rieur.
[b]

*"sept éclats de glace de ton rire étoilé" extrait d'un vers de Jacques Prévert dans "le miroir brisé"

Modératrice

Plumentête, tu nous donnes ici un texte très fort.
Avec précision tu détailles l'horreur dun amour qui emprisonne, au point qu'au départ on pourrait penser à ces sordides faits divers où des femmes sont restées réellement emprisonnées pendant de longues années par des tortionnaires.
Et puis, doucement on bascule avec la citation de Prévert et le soleil et les rires sont parvenus à la décider (ou est-ce "le" ?) de se délivrer.
Quel fougue ! Quel style ! bravo

**Maîtrise le sujet**

Je me suis dit brrr encore un texte très sombre ! parce que la forteresse la plus difficile à casser est celle qu'on se forge soi-même... bbrrrr
mais ouf ! il finit bien... Smile

et je suis bien contente !

Ce texte est une grande victoire et il m'a fait vibrer !

Bravo !

Kalé'reporter

Décidément, cette consigne assortie d'une phrase difficile à placer dans un texte suscite bien des réflexions! euh ?

Plumentête nous livre là une version originale où la progression du récit nous amène de la profonde tristesse à l'espoir : oui, on peut se débarrasser d'un carcan insupportable. Puisse-t-elle être entendue par celles et ceux qui n'osent abattre les murs qui les enserrent ! sunny

**Maîtrise le sujet**

Elle sort de cet enfer d'autant plus forte qu'elle y parvient seule, en suivant "les éclats de glace du rire étoilé".

J'ai connu quelqu'un qui a vécu ce type d'histoire destructrice, où tout va bien en apparence, alors que l'élan vital ne se manifeste même plus.

Ton texte est très fort car il montre l'horreur quotidienne et insoupçonnable derrière la façade de service.
bravo!

Kalé'reporter

Un texte très dense…
Qui ne peut laisser indifférent…

Kalé'reporter

Tu as une écriture très belle et très dense quand tu écris ainsi avec toutes tes entrailles. Car c'est un texte issu de tes entrailles au sens propre et au sens figuré (n'est ce pas?)

salut bas

Admin

C'est très difficile d'arriver après les autres pour commenter, d'autant plus que le texte est très très fort.
Un de tes plus beaux textes salut bas

Kalé'reporter

Merci à toutes et tous de vos commentaires, c'est bon de les lire.
Par ce texte j'ai voulu à la fois raconter une partie de mon histoire et rendre hommage à toutes celles (et tous ceux) qui se sont laissés enfermer insidieusement et qui me livrent leur histoire dans le cadre des accompagnements que je conduis professionnellement. Chacun à leur manière,le plus souvent grâce à un détail apparemment insignifiant (ici l'éclat de rire), trouve la force de remonter à la surface.
Je n'avais pas conscience en l'écrivant ni encore en le relisant d'avoir écrit un texte aussi dense ni d'avoir su rendre très justement la progression, tant mieux si j'ai atteint mon but.

Modératrice

Comme Cassy, je trouve que c'est un de tes plus beau texte: il m'a beaucoup émue. quel talent !

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