Je lui avais pourtant dit au petit qu’il fallait se méfier des montagnes : « Elles sont beaucoup trop hautes pour toi- lui avais-je aboyé plus d’une fois- quand tu seras grand, nous irons là haut, encordés à deux. »
Mais il n’en a fait qu’à sa tête têtue comme la mule .
Il la voulait sa montagne, maintenant et tout de suite : une vraie chèvre de Monsieur Seguin, en garçon, en mieux.
Mais moi, avec mon âge avancé, je peinais langue pendante à le suivre à quatre pattes.
J’avais donc dit fermement : « Non c’est non » en me couchant au panier.
Le coquin a profité de mon sommeil de vieux pour mettre son désir à exécution, tôt, lendemain matin, sans même emporter mon tonnelet ou mes croquettes.
J’en ai ouvert une de ses gueules quand j’ai pris conscience que mon jeune maître avait pris la clé des grisons.
J’ai tout de suite pensé au loup et j’ai hurlé à mort comme un bête blessé que je suis maintenant.
J’aurais pu le sauver de ce sauvage qui mange les enfants,( j’ai un truc,) le ramener sur mon dos dans le droit chemin de la vallée, lui donner à boire mon eau de vie qui ne me quitte jamais.
Mais le mal s’était fait autrement.
Une avalanche était passée par là et n’en avait fait qu’une boucherie.
Alors là, je m’en suis voulu... à en mourir. Je n’étais plus digne de ma race.
Je l’ai retrouvé inerte, tout blanc, ventre à terre, perdu au milieu de la neige au pied de la montagne.
J’ai pleuré comme le veau… je pleure toujours.
Maintenant ses parents me parlent comme si j’étais moi, leur enfant . Ils en ont perdu la raison. Ils me crient « couché » alors que c’est le petit qui est couché dans cette drôle de niche.
Je veux aller avec lui dans la niche : il y a place pour deux.
Je veux être le premier saint qu’il verra quand il arrivera au paradis.