Je ne suis pas né de la main d’Auguste Rodin. Je suis né de celle d’un menuisier. Haut d’à peine 60 cm, fait de bois d’olivier, je suis cependant l’exacte réplique de la célèbre statue « le Penseur ».
Il en a fallu du temps et des essais à cet obscur menuisier avant d’arriver à la perfection. Pourquoi s’être acharné à reproduire un tel chef d’œuvre? Que représentait-il pour lui ? Il ne me l’a jamais dit mais me posa dans son atelier et ne manquait jamais de me saluer chaque matin.
J’ai survécu à la mort du menuisier, aux changements de générations, aux déménagements, au nettoyage par le vide. Toujours une main qui m’a retenu, caressé, mis sur une étagère ou sur un meuble.
Mon corps s’est patiné, poli, adouci. J’ai observé durant toutes ces années la vie humaine s’écouler entre joie et pleurs. Mais si je pensais regarder le monde c’est le monde qui me regardait.
Que de regards furtifs en ma direction, que de questionnements dans ces regards. Que me demandaient-ils ? Qu’attendaient-ils de moi ? Une réponse, une aide ?
Je ne suis qu’une statuette et pourtant… Je suis conscient du magnétisme qui se dégage de moi et de l’attrait que j’exerce sur les hommes.
C’est sans doute cela un chef d’œuvre !