Bataille avec les mots

La jeune fille se promenait, avec son calepin et son crayon à la main. Elle ne savait même plus où elle allait, mais elle savait tout de même une chose : elle n'arrivait pas à se fait à l'idée qu'un de ses professeurs se permette de remettre en question l'avenir qu'elle s'était tracée. En fulminant silencieusement, son cerveau lui dictant de faire demi-tour et de lancer ses quatre vérités à cette... scientifique, elle tapa dans un gravier qui se trouvait dans son chemin, puis s'arrêta et tourna sa tête. " Le bonheur et rien d'autre " était écrit sur le mur en lettres noires.

Habillée de blanc, ses cheveux noirs décidèrent de tomber en cascade sur ses yeux, alors qu'elle ne grommelait que davantage.

- Le bonheur et rien d'autre, la belle affaire !... Elle leva sa tête vers le soleil et hurla. Qu'on me dise où il est, ce maudit bonheur, que je l'égorge !

Elle commença à écrire rageusement sur son calepin un poème pour faire jaillir le trop-plein de colère qu'elle retenait. Son crayon ne fit qu'écrire et gommer chaque ligne. Notre blanche s'assit sur le capot de la voiture, frissonna étrangement en constatant à quel point il était chaud. Le contact du métal brûlant la calma, petit à petit, renforcé par les respirations profondes qu'elle s'obligeait à faire. Puis, sans savoir pourquoi, une phrase jaillit du graphite de son crayon.

" La rouille grignote les âmes de ceux qui ne réalisent pas leurs rêves "

C'était bien ce que sa mère lui avait toujours répété... Et voilà une mathématicienne enseignante qui lui disait le contraire ! Elle grogna, puis, compta les syllabes de la phrase, en terminant l'exercice avec un juron. 18 syllabes. 18. Elle toisa son calepin, la phrase écrite, puis son crayon. Bien sûr, un alexandrin ou 24 syllabes serait trop demandé !

Elle barra, énervée, la phrase de sa gomme, et remarqua que les trois premiers mots persistaient. Les fixant avec intensité, elle compta les syllabes. Jura. Compta en faisant une diérèse. Sourit. Et décomposa la phrase en trois morceaux de six syllabes.

" La rouille grignote
L'âme de ceux qui ne
Réalisent pas leurs
Rêves, même d'enfants "

Quatre vers, de six syllabes chacun, lui avaient accaparé plus d'un quart d'heure, et elle se sentait nettement mieux. Pourquoi les mots de sa mère surgissaient-ils dans son esprit à des moments pareils ? Elle fronça les sourcils et rentra chez elle. Là, notre blanche prit un gros marqueur noir, sortit de sa maison et rejoignit le mur où cette stupide phrase était marquée. Elle se pencha et écrivit elle aussi sur le mur.

" C'est un marché de dupes ! La recherche du bonheur est beaucoup plus importante là où le bonheur est le plus éphémère. La recherche du bonheur est une beauté qui nous en apprend une autre : apprendre. De plus, votre phrase est bien courte, jeune... Jeune quoi ? "

Elle se releva, regarda ses toutes petites lettres qui formaient un beau carré et s'en alla de nouveau chez elle. La recherche du bonheur nous apprend-t-elle à réaliser ses rêves ? Si le sourire de notre blanche avait pu parler, nul ne douterai de sa réponse...

Superbe texte plein d'une révolte maîtrisée. En plus, j'ai appris ce qu'est une "diérèse".
J'ai aimé le rythme et le ton du texte ; j'ai aimé la description indirecte du travail poétique qui suppose de se couler dans une forme.
Un texte contrasté avec ce superbe : "habillée de blanc, ses cheveux noirs..." ou encore "votre phrase est bien courte... jeune, jeune quoi ?"
La référence à la mère comme auteure de la phrase de la consigne, me paraît fragile. Une mère parle-t-elle dans ces termes à sa fille ?
Mais, pour le reste, j'ai eu beaucoup de plaisir à lire un texte naturellement plein de tempérament !

Je partage l'avis de Kz et moi aussi j'ai ainsi appris la diérèse ! Merci !
C'est vrai que la révolte te va bien.
Tu pars au quart de tour parce qu'un prof te fait une remarque au sujet de ton avenir et hop, tu rues dans les brancards, tu exploses, tu t'indignes et tout cela est parfois très violent.
La chute atténue le côté rebelle !

De la colère au motif du sentiment d'incompréhension au difficile exercice de la poésie, il n'y avait qu'un pas. Il fut salutaire !

Quant au recours à la diérèse, hou là ! après consultation de Wiki, je ne m'y hasarderai point

pour Midwinter

beau texte en effet. Je partage les coms précédents. Pour la révolte elle est largement fondée, (excuses auprés des professeurs que vous êtes, car de toute évidence bien différents de ceux que j'ai peu connaitre), mais trop de rêves d'enfants, de jeunes, trop de vocations ont été brisées par la faute d'intendants du corps enseignant. Je crois qu'il y aurait beaucoup à dire sur le sujet !

Quand la révolte amène à la création poétique, tu nous offres un texte plein de vigueur et de fougue juvénile
.

De la révolte à la sérénité par le biais de l’écriture. Une quête du bonheur et de soi-même au moyen de la lutte avec les mots. Un texte violent, d’une sincérité palpable.

Midwinter, je ne trouve pas la jeunesse mollassonne du tout ! Et toi, sûrement, tu ne fais pas partie de cette catégorie : on sent dans ton texte quelqu'un de déterminé cherchant à répondre à beaucoup de questions existancielles comme le bonheur, la réalisation de ses rêves...Continue comme ça, jeune fille et bravo !

Je rejoins les autres commentaires, tout en te faisant quand même une petite remarque .
La première partie :

Citation :

La jeune fille se promenait, avec son calepin et son crayon à la main. Elle ne savait même plus où elle allait, mais elle savait tout de même une chose : elle n'arrivait pas à se fait à l'idée qu'un de ses professeurs se permette de remettre en question l'avenir qu'elle s'était tracée. En fulminant silencieusement, son cerveau lui dictant de faire demi-tour et de lancer ses quatre vérités à cette... scientifique, elle tapa dans un gravier qui se trouvait dans son chemin, puis s'arrêta et tourna sa tête. " Le bonheur et rien d'autre " était écrit sur le mur en lettres noires.

est "lourde, par rapport au reste, cela mériterait de la retravailler, me semble-t-il.

Pour le reste,je reconnais bien là ton style "volcanique "