Généralement, je me tiens dans les jardins publics ou petits parcs, caché derrière une statue, au coeur d'un bosquet, dans le feuillage foisonnant d'un catalpa, parfois même sous les nénuphars des bassins où voguent les navires de l'ennui.
J'attends, je scrute, je dévisage ces inconnus dont certains - ceux que j'aurais élus - vont pouvoir bénéficier de mon talent, de ma maîtrise toute artisanale, mais qui généralement agit avec beaucoup de délicatesse, à leur insu.
Cette jeune femme là, marchant tranquillement dans une allée à l'heure de la pause déjeuner sera ma prochaine victime. Elle a l'air un peu triste des "jours sans"... Il me suffit d'un claquement de doigt sec et que mon regard croise le sien pour diffuser en elle une sensation d'apaisement et d'harmonie. Et son rêve le plus profond se réalise. Elle continue sa promenade la main lovée dans celle de l'âme soeur qu'elle espère depuis si longtemps, le pas réglé sur un rythme conjoint.
Plus tard dans l'après-midi ce sera ce jeune homme assis sur un banc défraichi et qui trompe le cours des heures en tournant les pages d'un livre qu'il aurait voulu avoir écrit. Mais il ne croit pas en lui. Allez, hop! un claquement de doigt et le voilà qui sort un petit carnet et un crayon et se met à griffonner.
J'aime voir germer les sourires, fleurir un épanouissement du visage, fructifier un talent inconnu. Parfois il me faut intervenir à plusieurs reprises afin d'exterminer la cohorte de pucerons dévoreurs des rêves que je m'acharne à réveiller. Car ces rêves que je rallume, ils sont en chacun de ces passants qui arpente le jardin, enfouis parfois jusqu'à l'enfance. Ils sont juste endormis. Il suffit de presque rien, un regard bienveillant, un claquement de doigt de l'allumeur de rêves...