" Le pianiste parti, il n'y a pas un seul piano au monde qui se souvienne du récital donné."
Et pour cause…
Il n’y a jamais eu de récital !… Le pianiste( « la » pianiste) a disparu avec un accordeur qui possédait un autre instrument.
Je connais la musique pour l’avoir rencontrée dès mes jeunes années.
Maintenant c’est une histoire de passion réciproque que nous entretenons sans modération peu importe l’humeur du jour et du temps.
S’il pleut ou pleure, nous sanglotons ensemble, s’il fait soleil et joyeux nous éclatons à deux .
Notre complicité, notre harmonie fait penser à une symphonie toujours inachevable ou à un concerto pour cordes sensibles.
Et pourtant cela avait commencé curieusement.
Mon professeur dont je tairai le nom parce que trop inconnu, ne travaillait pas dans la douceur. Elle était exigeante, sévère et très vieille.
Sa chevelure se résumait à quelques triples croches sur la tête .Ses mains toujours en mouvement me rappelaient ceux d’une sorcière tant les doigts étaient longs et tordus dont un particulièrement, l’index , qui orné d’une grosse émeraude se pointait vers le haut avec autorité quand mes gammes trébuchaient sur le clavier.
Mais je ne vous dis pas tout.
Quand mon professeur dont je tairai le nom parce que…( je l’ai déjà dit), n’avait pas ses mains au piano, elle les avait au tricot.
C’est ainsi que mes do ré mi fa sol étaient accompagnés du tintement de ses aiguilles qui s’entrechoquaient d’autant plus furieusement que je faisais des fautes.
Elle se tricotait de longues culottes de laine pour protéger ses cuisses du froid de l’hiver. L’ouvrage terminé, elle me montrait le résultat qu’elle était fière d’exhiber en pleine séance.
Si ma mère savait ça !
Je découvrais ainsi avec horreur mais aussi avec un rire que j’avais bien du mal à contenir, les jambes engainées de mon professeur vraiment très particulier.
Ensuite sonnait la bonne heure gourmande du goûter, des galettes et des jeux dans le jardin.
Elle repartait seule ,avec le bus de 5 heures, titubante avec son vieux sac qui tombait jusqu’à ses pieds, jusqu’aux pieds de son grand manteau usé.
Morale de l’histoire au choix.
C’est en tricotant qu’on apprend à jouer du piano ou
C’est en jouant du piano qu’on apprend à tricoter.
Vous comprendrez que dans ce cas, il n’y eut jamais de récital parce que je n’arrive pas à me décider entre les deux et de plus, mon accordeur m’a convaincue de jouer à son instrument !