« LA MER EST NOURRICIERE ET l'HOMME EST INVENTIF. »
Cette phrase, écrite en lettres immenses à l’entrée du Dôme, résume toute la philosophie de notre Guide. Dès la sortie du sas, elle était destinée à frapper l’esprit des nouveaux arrivants qui venaient chercher asile en ces lieux. Mais il y a belle lurette qu’il n’y a plus de nouveaux arrivants. Tous ceux qui devaient venir sont là depuis longtemps et je suis une des représentantes de la première génération à être née, là, sous la mer. A ne connaître de la Surface que les images disponibles dans la banque de données réunie par notre Guide et ses collaborateurs.
Notre Guide !
Il avait tout prévu !
Bien avant la Grande Catastrophe ! Il savait que la mer pouvait fournir tout ce qui est nécessaire à la survie de l’Homme. Ne venons-nous pas de la mer ? «
Nous en sommes sortis et nous y retournerons ! », disait-il.
Il avait trouvé des mécènes, ou des sponsors, comme on disait alors. Des capitaux énormes pour bâtir, au fond de l’Océan, sur un vaste plateau sous-marin soigneusement choisi, le Dôme immense qui abriterait une colonie expérimentale, chargée de tester la possibilité d’une vie subaquatique, entièrement autonome.
La mer pouvait fournir la nourriture, elle le faisait depuis des temps immémoriaux. Grace à des machines puissantes, elle fournirait aussi toute l’énergie nécessaire pour alimenter la technologie qui assurerait la survie et le bien être des habitants.
Certains savants avaient crié au scandale, traitant celui qui n’était encore que l’un des leurs, de fou mégalomane, mais il avait persisté, s’entourant des cerveaux les plus géniaux de la planète et son utopie était devenue réalité…
Si bien que, lorsque la Grande Catastrophe est survenue, prenant de court la plupart des dirigeants du monde, le Dôme était prêt à accueillir les survivants…
Des survivants, il y en eut peu à vrai dire. Le Dôme était conçu pour accueillir quelques milliers d’individus, seulement quelques centaines se présentèrent, tout de suite après les évènements. Puis quelques groupes de temps en temps, de moins en moins nombreux, de plus en plus épuisés et exsangues … Puis toute arrivée cessa et la vie qui s’organisa fut celle d’une petite ville. Il y eut des naissances et des morts aussi. Peu à peu la population se stabilisa…
Les conditions de vie étaient excellentes, notre Guide avait pensé à tout. C’est d’ailleurs pour cela que ce titre lui fut décerné, il nous avait conduits en lieu sûr et, sans lui, l’humanité aurait sans doute disparu… Nous lui obéissons aveuglément car il sait ce qui est bon pour nous. Ou mauvais. Comme toutes tentatives pour rejoindre la surface où, selon lui, les conditions sont devenues incompatibles avec la vie telle que nous la connaissions avant.
Je savais qu’au fond de leurs laboratoires, les savants poursuivaient d’inlassables recherches pour toujours améliorer notre confort. En particulier, ils mettaient au point des substances destinées à modifier insensiblement notre métabolisme et nous permettre d’effectuer des sorties dans l’océan sans avoir besoin d’un équipement lourd et encombrant. Déjà des progrès énormes avaient été accomplis : mon scaf ultra léger me permettait de respirer en utilisant l’oxygène de l’eau et quand je nageais au milieu d’un banc de poissons, il me semblait presque pouvoir m’en passer et je brulais de me glisser librement parmi eux, pour partager la splendeur de leurs ballets aquatiques…
Mais depuis quelques jours, une chose m’inquiète. D’abord cette envie folle de me fondre dans les colonies de créatures marines et puis, ce matin, en sortant de ma douche, j’ai remarqué la présence d’une sorte de membrane entre mes orteils… Je n’en n’ai parlé à personne, mais j’ai beaucoup réfléchi. Je suis humaine, j’ai toujours vécu comme une humaine et j’entends mourir comme telle…
Ce soir — peut-être que là-haut ce sera le matin et que verrai enfin le lumineux soleil dont j’ai toujours rêvé? — je sortirai. Je franchirai le sas et je remonterai à la surface. Avec mon scaf ce sera un jeu d’enfant car je nage comme un poisson…
Ce que j’y trouverai, je l’ignore, peut-être mon anéantissement. Mais qu’importe, car je sens, tout au fond de mon être, qu’il est grand temps de revenir chez moi…