J'ai tout mon temps !

Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images, disait  Jean Cocteau. A juste titre, pensai-je en examinant mon visage enrichi d' une nouvelle ride  pas plus bienvenue qu'un cheveu sur la soupe.

Réfléchir dans le sens où un soupçon de réflexion, ou plus exactement de compassion, inciterait  le miroir à prendre quelque précaution. Réfléchir !  L'image  renvoyée  est-elle le reflet du contenu de mon âme ?  La sagesse est-elle  l'apanage de la vieillesse ? Rien n'est moins sûr !

Quant à l'image renvoyée par le miroir, me direz-vous, elle traduit l'évolution  inéluctable, jour après jour, et c'est dans l'ordre des choses. Mais cela me navre : mon miroir ne me dit-il pas : ton avenir est derrière toi ...

Si je n'étais pas convaincu,  Cocteau, impitoyable,  en rajoute une couche ;
Regardez-vous toute une vie dans une glace et vous verrez la mort travailler comme les abeilles dans une ruche de verre.

Soit !  Un jour viendra  où, si dans l'au-delà, on considère que je peux être partie intégrante des élus, il me poussera une jolie paire d'ailes qui feront de mon âme un ange investi certainement d'une nouvelle mission. Que cette aubaine ne se presse point : j'ai tout mon temps !

Le temps de rêver : rêver éveillé, rêver en dormant. Dans ce dernier cas, plus de vingt ans ont été consacrées au sommeil. Selon une étude très sérieuse, un être humain est habité chaque nuit par une heure et demie de rêve. Fichtre ! D'aventures extraordinaires en cauchemars  terrifiants, voire  fantasmes inavouables, les uns et les autres parsemés d'êtres irréels, d'animaux fabuleux ou foncièrement agressifs, plus de quatre années de ma vie se sont écoulées dans ce monde imaginaire !

Et là, Jean Cocteau énonce une vérité imparable : Plus je vieillis, plus je vois que ce qui ne s'évanouit pas, ce sont les rêves! Je ne manque pas de m'interroger comme tout un chacun sur la signification de ces moments irréels quand, toutefois le rêve ne s'évanouit pas dès que j'ouvre un œil. Manque de persévérance de ma mémoire fort regrettable ! Je me console : telle une bibliothèque bien achalandée, mon inconscient génèrera de nouveaux songes qui me laisseront dubitatif, hilare ou navré de concevoir de telles insanités...

En conclusion, n'en déplaise à mon miroir, les futurs signes de vieillesse avancée ne m'empêcheront pas de rêver. Au fond, n'est-ce pas là qu'il faut chercher la signification de cette citation : Le corps est un parasite de l'âme...