Et la terre se mit à trembler

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Le début de cette histoire sans fin est composé de trois extraits, mis bout à bout, de
"Les enfants de la Terre" - Tome 1- de Jean Auel

La terre trembla de nouveau en se tassant et fit entendre un grondement au plus profond de ses entrailles, comme si elle était occupée à digérer un repas englouti trop précipitamment. Les berges détrempées n'offraient aucun abri contre les éléments déchaînés. Une nouvelle secousse, de plus grande amplitude que la précédente, ébranla la terre. Il fallait fuir ces lieux où la terre s'ouvrait pour vous engloutir. Mais où aller?

Prend ses marques

Nous n’étions pas installés depuis longtemps dans la région et n’en connaissions ni les ressources ni les dangers.. Nous avions pensé n’y faire qu’une halte, le temps que les femmes puissent mettre au monde leur petit. Elles étaient deux dans ce cas. Les enfants étaient nés mais ils étaient bien fragiles encore. Et certains de nos sages étaient si vieux et si faibles que partir me semblait leur faire courir des risques graves.

Après une rapide concertation, nous décidâmes de nous diriger vers la forêt, à l’ouest. Tout valait mieux que de rester sur place et de subir la colère de la terre.

Kalé'reporter

Croisant leurs mains, deux par deux, six hommes transportèrent les trois anciens vers l'anfractuosité du rocher que je leur avais désignée. Quand aux deux bébés, leurs mères les protégèrent du mieux qu'elles purent. La grotte, dont l'ouverture était orientée à l'est, suffisait à contenir les petiots et les trois ancêtres ; la tribu, enfin ce qui en restait, allait-elle survivre une fois de plus ?

Kalé'reporter

Les grondements s'étaient calmés. Tous ceux qui étaient en âge de penser se mirent à espérer qu'il n'y en aurait plus d'autres. Le plus âgé, celui qu'on appelait Ancius, déclara que la colère des dieux ne s'apaiserait pas de sitôt. Personne depuis longtemps n'accordait plus aucun crédit à ses élucubrations de vieillard. La civilisation avait avancé rapidement, en quelques décennies l'homme était devenu le maître de la nature. Il était temps de rompre avec tout les ésotérismes.

J'étais l'un des seuls à penser qu'Ancius détenait des connaissances anciennes que nous avions tous oubliées. Je me disais que je devrais intervenir, dire quelque chose. C'était injuste de le déconsidérer à ce point. Je m'apprêtais à prendre la parole quand un nouveau grondement se fit entendre, et quelques roches de la grotte menacèrent de se détacher de la paroi.

**Maîtrise le sujet**

C’est alors que porté par ses vieilles jambes, Ancius se leva, les yeux brillants, suscitant une vague curiosité parmi les réfugiés de l’abri.
Comment oublier son visage, son expression à ce moment là ? Il paraissait transfiguré, comme habité par un monde hors du monde, une vision hors du réel.
Le temps d’un fugace et impressionnant instant, toute la force de sa jeunesse m’apparut, et la légende « d’Ancius le puissant sorcier » révéla alors toute sa signification.
D’un bras encore énergique et ferme, il frappa à cinq reprises de son bâton le sol plein de résonnances de la grotte.

Prend ses marques

Lorsqu’Ancius prenait la parole, chacun l’écoutait en essayant de tout enregistrer. Notre sage avait acquis des connaissances qui nous avaient été très utiles dans le passé : les plantes à rejeter de notre alimentation, les animaux dont il fallait se méfier, les dangers de certains cours d’eau, la façon de se protéger des insectes et du soleil…

Ce jour-là, il nous parla longtemps de la terre qui était vivante, comme nous, qui pouvait donc bouger, gronder, se révolter, se modifier. Il nous dit que les anciens, qu’il avait connus, parlaient d’un être étrange vivant sous la terre, mi-serpent mi-lézard, qui se fâchait parfois et qu’il fallait honorer. Il était immense, certains l’avaient vu en rêve, immense et violent.
Ancius proposa alors une danse et un sacrifice. Une vache, pas moins. Une vache que nous allions tuer et jeter dans la faille ouverte dans la colline. Puis, il nous promit de nous diriger vers un abri plus sûr.
Un murmure accompagna ses paroles. Nous n’avions plus que quelques vaches et des chèvres. On voulait bien donner une chèvre à manger au monstre, mais une vache ! Cela nous semblait bien trop.

Kalé'reporter

Faustus qui menait une action souterraine contre la suprématie de Ancius s'engouffra dans la brèche et proposa d'offrir la vache noire, celle qui ne donnait plus de lait, semait la zizanie dans le troupeau et que le taureau ignorait superbement. Il insinua que la dégustation d'une telle carne ne pourrait que conduire l'Europasaurus à une nourriture végétarienne pour les saisons à venir.
Quant à la danse, Tertius qui envisageait de supplanter Secundus en remplacement de l'antique Ancius, se proposa d'ouvrir le bal, exercice dans lequel il excellait.

Parmi nous, certains auraient préféré revenir à nos moutons, à savoir qu'on devrait, au lieu de mener ces luttes intestines et attribuer la colère de la terre à un monstre hypothétique, prendre les mesures qui s'imposaient. Mais lesquelles ?

**Maîtrise le sujet**

J’en étais là de mes réflexions quand mon regard se posa machinalement sur le petit foyer en terre cuite qui contenait les braises. En tant que gardien du feu, j’en étais responsable.
Avec un hoquet d’horreur je découvris que le feu s’était éteint pendant notre fuite éperdue sous la tempête.
Jusque là aucun membre de la tribu ne s’était inquiété de l’affaire, trop occupé par les querelles qui régnaient au sujet du sacrifice.
Mais très bientôt, quand les protagonistes se seraient enfin mis d’accord, le feu serait demandé et mon sort deviendrait très incertain.
Je devais surtout ne pas céder à la panique et ne rien laisser paraître, mais mon esprit s’emballait, et je devinais clairement qu’en matière de sacrifice, je prendrais peut-être la place de la vieille vache noire.

Un gigantesque éclair suivi d’un retentissant coup de tonnerre mit fin à mes sombres pensées. Assis près de l’entrée de la grotte, je m’aperçus alors qu’un arbre venait d’être foudroyé. Des brandons de toutes tailles rougeoyaient tout autour.
C’était mon jour de chance ! Sans bruit, aidé par l’obscurité ambiante, je me faufilai dehors avec mon pot de terre, pour récupérer ce feu inespéré tombé du ciel.
Personne ne m’avait vu sortir de la grotte, et je m’étais dirigé vers un endroit d’où je pouvais rester invisible des miens.
Ma mission accomplie, j’allais enfin regagner l’abri rocheux quand une odeur inconnue portée par le vent me surprit.
Humaine, sans aucun doute, elle ne correspondait à personne de la tribu.
Surgirent alors deux hommes et une femme étranges.
Tout en me regardant avec curiosité et méfiance, l’un d’entre eux s’avança.

**Maîtrise le sujet**

Ils étaient plus grands que moi, c'est la première chose à laquelle j'ai pensé. J'aurais tellement voulu m'en aller avant que le feu ne meurt à nouveau, mais j'étais comme cristallisé.
Enfin après un moment de jaugeage, entre celui qui me sembla être le chef et moi, qui me sembla interminable, il se mit à parler. Cette langue m'était complètement étrangère, néanmoins, je n'ai pas ressenti d'animosité malgré les armes attachées dans leur dos et la lance que la femme avait à la main. Elle semblait inquiète, le visage un peu diaphane et je la trouvais surtout très belle.

Kalé'reporter

La jeune femme avait les cheveux blonds, alors que dans notre tribu tout le monde a une chevelure d'ébène. C'est la première fois que je voyais une telle crinière qui lui tombait sur les épaules et jusqu'au bas du dos. J'en fus particulièrement surpris. En outre ses yeux étaient clairs, bleus, m'a-t-il semblé, ou peut-être verts.
J'ai tendu mes bras vers l'avant, paumes tournées vers le ciel, en signe de bienveillance et de paix. Alors celui qui semblait le chef a brandi vers moi une sorte de sagaie, la maintenant verticalement, et non pas dans un geste agressif. Je me suis demandé comment interpréter ce geste. Était-ce là leur manière à eux de saluer un étranger ?
C'est alors que j'entendis un souffle rauque dans mon dos. C'était Faustus qui nous avait rejoint et commençait à s'adresser aux étrangers sur un ton élevé, manifestant une supériorité évidente, lui qui s'imaginait déjà le chef de tous et de tout le monde. De toute façon les humains en face ne comprenaient rien à ce qu'il disait, puisque nous n'avions pas le même langage.
Alors, l'autre homme ,qui s'était jusque-là tenu en retrait, s'avança, avec un air méchant.

**Maîtrise le sujet**

Cet abruti de Faustus avait encore une fois semé la discorde, il ne savait rien faire d’autre de toute façon.
Tout d’un coup, une énorme vague de colère me submergea.
Je me suis alors retourné et lui ai hurlé de se taire, tout en lui intimant d’un geste autoritaire de la main de reculer.
J’étais stupéfait par mon audace, et les autres membres de la tribu, qui avaient commencé à sortir de la grotte, l’étaient tout autant.
Pendant une fraction de seconde, le temps cessa de s’écouler.
L’étranger avait bien compris mon intervention, puisqu’il s’arrêta net.
Faustus aussi marqua une hésitation, il n’avait pas l’habitude d’être traité de la sorte. Il hésitait, je le voyais dans ses yeux, car certains hommes de la tribu m’avaient maintenant rejoint et le fusillaient des yeux.
Je me rendais compte que le rapport de force était en train de basculer.

Kalé'reporter

Était-ce par diversion ou pour désamorcer la tension ? A moins qu'il souhaite ainsi conserver une parcelle d'autorité, Ancius se mit à psalmodier un des plus beaux chants de son répertoire. Tertius se lança dans une danse effrénée, rythmée par les percussions du tam-tam de Secondus. Comme si le ciel n'attendait que cela pour se calmer, les nuages se déchirèrent, laissant apparaître un coin de ciel bleu. Et l'ensemble de la tribu d'entrer dans la danse ! Les nouveaux arrivants, un instant désarçonnés par cette brusque modification d'ambiance, se mirent alors à se trémousser en cadence.

Subrepticement, je m'approchais de la belle ondine, surveillant du coin de l’œil son compagnon. Il ne parut pas s'offusquer de ma démarche : la sagaie pointait toujours les cieux... Manifestement, mon pouvoir à rallumer le feu, auprès duquel il faisait si bon danser, lui inspirait confiance et je voyais dans le regard de la belle blonde, une pointe d'admiration.

Si nous avions su interpréter les pensées de nos compagnons, les animaux, aurions-nous sans nul doute ruminé l'avertissement de la vache noire, à peine rassérénée d'avoir échappé au sacrifice rituel : les humains sont comme les caprices du temps, totalement imprévisibles !

Modératrice

Attirée par le bruit de la danse, Enyâ apparut à l’entrée de la grotte. Serré contre sa poitrine, elle portait son bébé enveloppé dans une chaude peau de loup.
Alors délaissant le spectacle des danseurs, la femme blonde s’approcha d’elle. Les deux femmes échangèrent un regard, l’étrangère dut lire dans celui d’Enya comme une permission puisqu’elle avança timidement un doigt crasseux pour écarter doucement la fourrure. En découvrant le petit visage chiffonné, elle poussa un léger cri de ravissement et elle se mit à battre des mains. Enyâ se sentait fière, son fils était son orgueil. Surement il était promis à une haute destinée, il serait un homme fort, courageux mais, contrairement à tous les mâles de la tribu, vantards, brutaux, braillards et bornés, il serait doux et responsable. Pour cette raison et contre l’avis de Faustus, son père présumé, Enyâ lui avait donné le nom de Noûm qui désigne le soleil de l’aurore, celui qui réchauffe les corps engourdis par le froid de la nuit. L’étrangère parlait maintenant en désignant le bébé, son langage était incompréhensible pour Enyâ, mais l’intonation interrogative la poussa à désigner son fils en prononçant son nom : « Naoum ! ». Puis elle se désigna elle-même en pointant un doigt sur sa poitrine : « Enyâ ! ». Elle recommença plusieurs fois de suite, puis dirigea son doigt vers la femme en l’interrogeant du regard. Cette dernière comprit tout de suite et prononça « Noumaï ! » en se frappant la poitrine. Puis elle répéta en les montrant tour à tour : «Naoum ! Enyâ ! Noumaï ! »…

Kalé'reporter

Je contemplais cet instant magique, ou des humains semblent se reconnaître entre eux. Disons en tout cas que ces étrangers avaient des allures humaines. La femme manifestait des sentiments. À moins qu'il ne s'agisse simplement d'un instinct maternel. Je réalisais cette nécessité d'avoir un nom, de pouvoir être appelé par son nom. C'était sans doute ainsi que l'étranger pourrait devenir un proche, si ce n'est un semblable, si ce n'est un compagnon, si ce n'est un ami.

Je constate aujourd'hui que j'étais encore naïf. Après ces instants de paix et osons le dire, d'une certaine félicitée, les trois étrangers s'en retournèrent et disparurent aussi mystérieusement qu'ils étaient apparus. Ce n'est que quelques jours plus tard qu'ils revinrent en force et en nombre accompagnés debeaucoup d'autres. Ils envahirent notre grotte au plein milieu de la nuit, avec des cris guerriers, nous surprenant dans notre sommeil. L'effet de surprise fut complet, la panique générale dans notre tribu. Leur intervention ne dura cependant que quelques instants qui parurent éternité. Puis, à nouveau, ils s'enfuirent aussi vite qu'ils étaient venus.

C'est en entendant l'horrible cri déchirant d'Enyâ que j'ai réalisé l'objet de leur invasion soudaine : Noaum, le jeune bébé mâle d'Enyâ et de Faustus, avait disparu. Ils étaient venus pour l'enlever.

Prend ses marques

Mais je vais trop vite sans doute dans ma narration...

Cette visite était à ce point surprenante que nous en avions oublié la terre et ses mouvements coléreux. Ancius et Tertius avaient arrêté chant et danse magiques. Les membres de la tribu commentaient la rencontre avec un mélange d’appréhension et d’attraction. Les étrangers nous avaient semblé pacifiques bien qu’un peu farouches : disparaître ainsi alors que nous n’avions rien partagé, ni nourriture ni boisson… Peut-être avaient-ils d’autres mœurs ?

Nous en étions là de nos réflexions quand la terre se rappela à nous.
La secousse fut bien plus longue et plus intense que les précédentes. Chacun criait, courait n’importe où à la recherche d’un abri. La mêlée fut telle que des enfants furent blessés, piétinés par les adultes affolés.
Lorsque les convulsions du sol s’arrêtèrent enfin, nous avons dénombré plusieurs morts : jeunes enfants, adultes des deux sexes et quelques vieillards. Certains avaient été écrasés par la chute d’arbres, d’autres restés à l’entrée de la grotte par des pierres détachées par les secousses.

Décimé, notre groupe était affaibli. Nous ne savions quelle décision prendre… Les anciens, blessés ou fatigués, nous prièrent de rester quelques jours sur place et, à la moindre menace, de nous réfugier au fond de l’abri.
C’est alors que, quelques jours plus tard, les étrangers revinrent en force…

**Maîtrise le sujet**

Le coup pour la tribu fut terrible. Non seulement nous étions menacés par les éléments mais aussi par des étrangers qui nous dérobaient ce que nous avions de plus cher.

Mon cœur se serre à ce stade du récit en repensant aux heures sombres et difficiles qui ont suivi.
Je me sentais coupable et responsable du drame. En établissant le premier un contact, j’avais entraîné le clan dans un piège et je voulais réparer mon erreur.

Le lendemain de l’enlèvement de Naoum j’ai demandé à Ancius la permission de partir à sa recherche. J’étais un bon pisteur, je savais être capable de retrouver la trace des voleurs sans me faire repérer si je faisais attention.
Ancius et les anciens hésitèrent, un homme de moins produirait un vide certain parmi la tribu déjà malmenée.
L’autorisation me fut finalement donnée mais je devais tout d’abord accompagner les miens vers un lieu plus sûr, celui-ci était devenu inhospitalier.
Après un terrifiant jour de marche sous les grondements de la terre, un nouvel abri se présenta au creux de montagnes accueillantes où la tribu s’installa. J’étais maintenant libre de partir à mon tour.

J’ai retrouvé facilement la trace des deux hommes et de la femme étrange et j’ai atteint leur campement.
Malgré mille précautions pour me cacher, ces démons ont réussi à me capturer, je me suis retrouvé coincé dans un filet suspendu à un arbre.

Depuis ce jour je suis prisonnier. Pourquoi ? Jusqu’à quand ? Mystère !

Kalé'reporter

Trois fois déjà le soleil s'était glissé derrière les arbres de la clairière amenant une obscurité d'autant plus inquiétante qu'elle accroissait mon insécurité. Le clan de la femme aux longs cheveux n'allait-il pas définitivement mettre fin à ma vie ? J'étais prêt à cette éventualité : peut-être les dieux jugeaient-ils que mon heure était venue...

Me remémorant mon passage sur cette terre, je considérais avoir donné à mon peuple ce que je lui devais : fidélité, ingéniosité dès lors qu'il s'agissait d'entretenir le feu, flair infaillible sur la piste des animaux. Mais comment avais-je pu me laisser capturer aussi facilement et me retrouver dans cette position ridicule et inconfortable à six pieds du sol !

Bien qu'elle soit en grande partie à l'origine de mon infortune, je ne nourrissais aucune rancune à l'encontre de cette femme à la beauté envoutante qui, néanmoins, avait peut-être fomenté l'enlèvement de Naoum, le bébé d'Enyâ. Le cheminement de mes pensées fut interrompu par l'apparition de la déesse aux yeux bleu-vert. Dans ses bras, Naoum gazouillait comme un bébé repu, content de son sort. Dans l'absence d'animosité du regard de la femme à la chevelure de feu, je compris que je devais saisir ma chance : me libérer de ce maudit filet et qui sait ? ramener Naoum à sa mère. Quelques gestes suffirent à me faire mesurer l'étendue de ma naïveté... Certes, j'allais recouvrer la liberté, mais ça ne serait pas sans contrepartie.

Kalé'reporter

Je tentais de me souvenir du nom de la belle déesse, celui qu'elle avait prononcé en se désignant lors de la première rencontre, avant l'enlèvement. Quelque chose comme Souniä, ou Lounaï. Je m'en voulais de ma mémoire défaillante. Mais qu'importe, je me suis lancé, la regardant du haut de ma prison en forme de filet, j'ai prononcé ce nom en variant les assonances, tantôt sur un ton plaintif, réclamant assistance, tantôt sur un ton plus ferme, voulant faire comprendre que je disposais de quelques pouvoirs que je pourrais exercer contre elle, tantôt avec un ton qui se voulait séducteur, pour l'amadouer.
Elle tournait en rond autour du filet, me regardant étrangement, elle tendait le bébé vers moi, prononçant des mots incompréhensibles sur un ton presque belliqueux. À d'autres moments elle serrait le bébé tendrement dans ses bras, et prononçait une sorte de mélopée douce. J'eus le sentiment qu'elle nous reprochait la présence de ce bébé dans notre tribu, et que son rapt aurait été une sorte de rétablissement d'un ordre des choses. Mais je ne comprendrais pas le sens que tout cela pouvait avoir.
Alors je fus saisi d'une grande colère, car tout cela me semblait absurde, injuste et dénué de signification. Je me mis à remuer en tous sens. Ma colère décuplait mes forces, en sorte que le filet finit par céder et que je tombai lourdement sur le sol. Ce dernier était sablonneux et amortit ma chute. Je me relevais aussitôt, me précipitant vers la femme avec la ferme intention de récupérer « notre » bébé.
La femme se défendit en me saisissant à la gorge d'une main ferme. Je n'avais pas imaginé qu'une femelle puisse avoir autant de force, plus que les miennes je dois l'avouer. Elle serrait ma gorge, et j'en perdais la respiration. J'avais en outre le sentiment d'un corps qui se paralysait peu à peu.

Combien de temps s'était passé. Je l'ignorais. J'ai repris connaissance au milieu d'une sorte de clairière, les membres entravés par des liens serrés. Devant moi se tenait celui que j'avais déjà vu, sa lance à la main. Mais cette fois il était entouré de dizaines d'autres, mâles et femelles, qui tapait du pied sur le sol. Il s'avança de quelques pas vers moi. La belle déesse (Noumaï, son nom m'était maintenant revenu) se tenait à ses côtés, l'enfant toujours dans ses bras. L'homme, dont j'ai pensé qu'il était le chef, désigna tour à tour la femme et l'enfant, puis me désigna, moi. Il répéta ce geste plusieurs fois. Je compris qu'il évoquait ainsi le principe d'un échange.
Mais lequel ? Que voulait-il de moi, de nous en contrepartie ?

Modératrice

Pendant ce temps, dans le nouveau camp, au creux des montagnes accueillantes, les membres du groupe, ignorant ce qui était arrivé à leur meilleur pisteur, essayaient de reprendre le cours de leur vie bouleversée.
Passé le choc et la douleur qui avaient suivi l’enlèvement de son fils, Enyâ avait décidé d’agir. Bien sûr, ce n’était pas le rôle d’une femme, elle aurait dû attendre le retour du pisteur et les informations qu’il rapporterait peut-être, attendre les décisions des anciens, attendre la venue d’un nouveau bébé car elle lisait dans le regard de Faustus que cette solution avait déjà traversé l’esprit primitif qui se cachait au fond de son crâne épais, attendre, attendre…
Enyâ n’avait jamais aimé attendre. Un soir, elle réussit à cacher dans un repli de sa tunique de peau, une fine lame de silex emmanchée dans une pièce de bois de cerf. A la fois outil et arme, elle n’avait besoin de rien d’autre pour se lancer à la recherche de son fils. De rien d’autre si ce n’est d’un grand courage. Mais de courage, Enyâ n’en manquait pas. Quand elle était petite, son père, bravant l’autorité d’Ancius, l’avait élevée comme un garçon. Elle savait chasser, pêcher et pouvait, à l’occasion, se battre si la situation l’exigeait. Elle esquissa un pâle sourire à l’évocation de la première tentative de Faustus pour la séduire, là-bas au bord de la rivière tumultueuse. Quand il s’était fait brutalement entreprenant, elle l’avait proprement fait basculer dans l’eau, histoire de lui rafraîchir les idées… Bien sûr elle avait finalement partagé sa couche, mais seulement quand elle l’avait décidé.
Quand les ronflements sonores des hommes lui apprirent qu’ils s’étaient tous endormis, Enyâ s’était glissée hors de la grotte et s’en était éloignée en hâte. Sa rapidité et son agilité à se déplacer silencieusement dans l’obscurité était sa meilleure défense contre les attaques possibles des bêtes sauvages. Enyâ voulait être loin quand le clan se réveillerait…

Prend ses marques

Je ne comprenais rien à leurs gesticulations, à leurs cris. J’avais peur.
L’homme, qui semblait le chef de la tribu, s’avança très près de moi, D’un geste vif, il sortit un biface de sa large ceinture de cuir. Il prit mon bras gauche et l'entailla au creux du coude. Je fus tellement surpris que je ne criai pas.
Je ne pouvais pas bouger tant les liens m’enserrait, mais j’aurais pu hurler ! À la chasse, nos cris effrayent bien les animaux. J’aurais pu essayer, non de me défendre, mais de lutter, de manifester mon refus… Mais, rien. !

Une femme âgée mit une coupelle sous mon bras et recueilli le sang qui s’égouttait peu à peu. Le groupe riait, tapait des mains, se frappait le ventre et me montrait du doigt. Manifestement, c'était ce qu'ils attendaient.

Je pus enfin réagir. Je rugis alors d’angoisse, de colère, d’impuissance. Mais Noumaï me montra le bébé et refit ce geste d’échange pour que je comprenne bien : c’était le bébé contre mon sang !

L''entaille n'était sans doute pas assez profonde car les gouttes se firent plus rares. l'homme fronça les sourcils. Il n'était visiblement pas satisfait.

Kalé'reporter

En moi, grandissait une sourde inquiétude : n'allait-on pas m'ôter la vie si je contrecarrais leur volonté ? Mais où voulaient-ils en venir ? Certes, je pouvais me satisfaire de mon passage sur terre et laisser place à cette jeune vie pleine de promesses, d'autant que Naoum était peut-être le chainon manquant entre nos deux espèces qui présentaient des différences notables comme la longue chevelure d'or et les yeux clairs de Noumaï.

J'en étais là de ma réflexion quand la concentration des regards sur ma personne parut se relâcher à moins qu'elle n'eut trouvé un autre centre d’intérêt.

J'en saisis tout à coup la raison : du fond de la clairière venait de surgir une silhouette qui ne m'était pas inconnue... Ciel ! Pas possible... C'était Enyâ. Avec la détermination qui la caractérisait, elle avançait, un large sourire aux lèvres . Se dirigeant vers Noumaï sans l'ombre d'une hésitation, elle tendit ses bras vers son bébé. Cependant, elle ne tenta pas de l'arracher au sein de Noumaï , se contentant de regarder le nourrisson avec la tendresse dont seules les mères sont capables.

Un murmure s'éleva de l'assistance manifestement émue par la confrontation entre les deux femmes . Il se transforma en cris d'allégresse quand Enyâ et Noumaï tombèrent dans les bras l'une de l'autre, enserrant dans une étreinte commune le petit Noumaï qui paraissait ravi de la réconciliation.

Quant à moi, je ne pouvais que me satisfaire de l'évolution de la situation... L'heure des tractations était venue. Allions - nous ensemble pouvoir affronter la colère des éléments, perpétuer la vie humaine, surmonter nos craintes et les rivalités entre clans ?

**Maîtrise le sujet**

Maintenant libéré et détaché de mes liens, je faisais face aux membres de la tribu aux côtés d’Enyâ. Nous étions indécis. Un grand pas avait été franchi, certes, mais après ?
Pour l’heure, le plus urgent était de se nourrir et de reprendre des forces, le reste attendrait.

Le chef nous offrit un confortable abri de bois et de feuilles un peu à l’écart des autres membres du clan.
Bien que libres d’aller et venir à notre guise, il était malgré tout évident que nous étions surveillés de façon très discrète.
Enyâ s’occupait du bébé, Noumaï la rejoignait souvent, et moi je tentais de comprendre la façon de vivre de ces êtres si différents de nous.
Quelle surprise de m’apercevoir qu’ils produisaient eux-mêmes leur propre feu, grâce à des pierres et de la mousse sèche!
Devant ma fascination pleine de respect, leur « faiseur de feu » accepta de m’initier à son secret et au bout de quelques heures j’étais capable moi aussi de cet exploit.
J’imaginais la joie qu’éprouveraient les miens à pouvoir en faire autant.

Les miens, justement, que faisaient-ils en ce moment ? Tôt ou tard il nous faudrait les rejoindre, sans froisser ni se mettre à dos nos hôtes.

Modératrice

Et surtout, comme me le fit remarquer Enyâ, nous ne savions pas ce que les Autres attendaient de nous. Pourquoi avaient-ils enlevé le bébé ? Pourquoi m'avaient-ils capturé ? Pourquoi, depuis son arrivée à elle avaient-ils changé d'attitude ? De la franche hostilité à mon égard, ils étaient passé à la cordialité voire à la coopération, n’hésitant pas à partager un secret vital, celui de la fabrication du feu…
Mon instinct me commandait la plus extrême prudence, ne pas faire confiance est souvent dans notre monde une question de survie.
Enyâ restait aussi sur ses gardes : sous couvert de participer à la vie quotidienne de la tribu, elle observait… Le seul qui manifestait un restant d’hostilité était leur chef. Il avait tancé vertement le Faiseur de feu et il n’était pas nécessaire de comprendre ce qu’il disait pour le voir exprimer une véritable colère. Sous ses invectives, l’autre faisait le dos rond et les jours suivants, il m’évita.
Le langage restait en effet, notre principale source de difficulté et d’incompréhension, mais peu à peu, sous l’impulsion et il faut bien le reconnaître des deux femmes, des correspondances s’établissaient entre nos deux idiomes.
Quant à partir rejoindre les nôtres, il n’en n’était pas question pour l’instant. En effet chaque fois que je faisais mine de m’éloigner du campement, un des étrangers me ramenait, aimablement mais fermement, vers le groupe et jamais Enyâ n’avait la possibilité de promener le bébé seule, toujours Noumaï ou une autre des femmes l’accompagnait.
Le rituel du sang qu’ils avaient pratiqué sur moi lors de ma capture se renouvelait quand un animal, cerf ou sanglier, tombait dans un piège, jamais sur un animal mort. Je sentais que cela avait un lien avec leurs croyances, mais lequel ?

**Maîtrise le sujet**

Quand j'y repense... Ce que je n'oublierai jamais, dussè-je atteindre cent ans, c'est le bruit. Le bruit qui accompagne ces tremblements de la terre. Le bruit qui a précédé toute cette aventure. Je ne peux pas le décrire.

Il est désormais intimement associé à la survenue d'hommes et de femmes inconnus, au rapt d'un des nôtres, aux essais de communication entre nous. Aux coutumes inconnues. Panique, peur, discussions entre les hommes, expression craintive sur le visage des femmes, volonté de prise de pouvoir, comme le recours à nos anciens rituels, paraît vain, tout à coup. Notre pays est si plein de dangers... Et nos nouveaux amis, amis ou ennemis, qui peut le dire? Sont si mystérieux !

Ce bruit, comme un vacarme venu de très loin, je ne pourrais même dire s'il surgit avant le tremblement, s'il l'accompagne, ou s'il met longtemps à s'éteindre, après que tout a mené une sarabande effroyable autour de moi. De nous. La peur. Et le souci du feu. Et puis, voilà que j'ai appris à le domestiquer ce feu. Et puis, un des hommes m'a montré une autre sorte de talisman... Quelque chose qui me rassure bien plus que le couteau du sacrificateur. Ce sont quelques couleurs broyées, dans des petits sacs en peaux, qu'on garde précieusement, en un lieu protégé du campement, et lorsque la flamme éclaire les parois d'une grotte, par exemple, les hommes tracent. Des animaux de légende, des bouquetins, des cerfs, des biches, une main. Une main.

Une main appliquée sur la paroi noire des anfractuosités de roche... Comme un signe pour demain... Et que tout le monde devrait comprendre. Le grondement, le feu, la peur, les autres, et même si nous ne parlons pas la même langue, ce pont fragile jeté entre nous, en dépit du danger...

Car, survivrons-nous aux prochains grondements de la terre?

La nuit, il m'arrive encore de me réveiller en sursaut et en sueur...

Prend ses marques

Tant de pensées m’obsèdent !
Je suis partagé entre la crainte pour notre avenir, l’inquiétude pour les miens qui sont restés dans cette zone où la terre n’est plus ferme, la colère et la haine mais le respect aussi pour ces ennemis qui partagent tant de choses avec nous.

Je sais que je ne devrais pas mais je ne peux m’empêcher d’admirer les savoirs de ces gens.
Parfois, ils me semblent si proches que j’oublie un peu que je ne suis pas chez nous. Mais un regard aigu, farouche me rappelle que je suis toujours en danger et que notre sort est entre leurs mains. Je pense qu’ils ne feront pas de mal à l’enfant, ni à Enyâ qui semble bien mieux intégrée que moi.
Qui semble... Je la connais bien, je l'observe. Elle ne peut pas se résigner ainsi, ce n'est pas dans son caractère.
Elle participe à la cueillette des plantes comestibles et quand elle revient, avec des gestes furtifs, elle cache des feuilles, des tiges... Est-ce pour les manger, seule ? A-t-elle faim à ce point ?

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